Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/77

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est pour le moment infatué ; s’il est possible de lui faire connaître par quelque moyen le caractère réel et les projets de cette jeune créature, dont l’étrange, la très-étrange position, par rapport à lui… (ici M. Pecksniff baissa la gamme de sa voix jusqu’à un chuchotement mystérieux)… jette en vérité une ombre de flétrissure et de déshonneur sur cette famille ; et qui, nous le savons… (Ici il éleva de nouveau la voix)… autrement, pourquoi l’accompagnerait-elle ? fonde les plus vils calculs sur sa faiblesse et sur sa fortune. »

Dans l’ardeur de leur conviction à cet égard, les bons parents, qui n’étaient d’accord sur aucun autre point, se trouvèrent unanimes là-dessus comme un seul homme. Bonté du ciel ! Certainement elle fondait de vils calculs sur sa fortune. Et quels étaient ses plans ?… La femme forte était pour le poison, ses trois filles se prononcèrent pour Bridewell[1], au pain et à l’eau pour régime ; la cousine aux maux de dents invoqua Botany-Bay, et les deux miss Pecksniff suggérèrent le fouet. Seul, M. Tigg, qui, malgré le délabrement de ses habits, était considéré en quelque sorte comme un homme agréable aux dames, en raison de sa moustache et de ses brandebourgs, émit un doute sur l’opportunité et la convenance de ces mesures ; mais il se borna à lorgner les trois miss Chuzzlewit sans mêler la moindre ironie à son admiration, comme s’il voulait leur faire l’observation suivante : « Vous ne la ménagez pas, mes douces créatures, sur mon âme ! Allons, un peu plus de ménagement ! »

« Maintenant, dit M. Pecksniff croisant ses deux index à deux fins, par esprit de conciliation et par forme d’argumentation, d’un côté je n’irai pas si loin que de prétendre qu’elle mérite tous les châtiments qui ont été si puissamment et si plaisamment invoqués contre elle… (Il parlait ainsi en son style fleuri). De l’autre, je ne voudrais aucunement compromettre ma réputation de simple bon sens en affirmant qu’elle ne les mérite pas. Ce que je tiens à faire observer, c’est qu’il faudrait trouver quelque moyen pratique pour déterminer notre respecté… Ne dirai-je pas notre vénéré ?…

— Non ! s’écria à voix haute la femme forte.

— Alors je n’en ferai rien, dit M. Pecksniff. Vous êtes parfaitement libre, chère madame ; je vous approuve, je vous remercie pour votre objection distinctive. Je reprends : Notre

  1. Maison de correction.