Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/79

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cette réponse, si j’étais un cannibale, j’aurais lieu de penser, ce me semble, qu’une dame qui a enterré trois maris sans avoir beaucoup pâti de leur perte doit être d’un acabit terriblement coriace. »

La femme forte se leva en sursaut.

« Et j’ajouterai, dit M. Georges secouant violemment la tête de deux en deux syllabes, pour ne nommer personne et par conséquent sans offenser personne, si ce n’est ceux que leur conscience avertit de quelque allusion, que, selon moi, il serait infiniment plus décent et plus convenable que ceux qui se sont accrochés, cramponnés à cette famille, en profitant de l’aveuglement d’un de ses membres avant le mariage, et qui ensuite l’ont tellement harassé de leurs croassements qu’il s’est trouvé bien heureux de mourir pour échapper à leur humeur acariâtre, que ceux-là ne vinssent pas remplir le rôle de vautours vis-à-vis des autres membres de la famille encore existants. Je pense qu’il serait aussi bien, sinon mieux, que ces gens-là se tinssent chez eux, se contentant de ce qu’ils ont gagné déjà, heureusement pour eux, au lieu de venir fondre ici, pour fourrer leurs doigts dans un pâté de famille qu’ils savent si bien flairer, grâce à la longueur de leur nez, je suis fâché de le leur dire.

— J’aurais dû m’attendre à ceci ! s’écria la femme forte, promenant autour d’elle un dédaigneux sourire, tandis que, suivie de ses trois filles, elle gagnait la porte. En vérité, je m’attendais à ceci dès le début. Peut-on, d’ailleurs, espérer de gagner autre chose que la peste dans une atmosphère pareille ?

— Madame, veuillez, je vous prie, dit Charity, se jetant dans le débat, m’épargner vos œillades d’officier à demi-solde, car je ne saurais les supporter. »

Ceci était une sanglante allusion à une pension dont la femme forte avait joui durant son deuxième veuvage et avant qu’elle convolât une troisième fois en puissance de mari. Il faut avouer que c’était là un gros mot.

« Misérable coquine ! dit mistress Ned ; j’avais laissé des souvenirs dans un pays reconnaissant, quand j’entrai dans cette famille. Je vois maintenant, si je ne l’ai pas assez compris alors, que tout ce que j’ai gagné, c’est d’avoir perdu mes droits sur le royaume uni de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, le jour où je me suis ainsi dégradée. Allons, mes chères filles, si vous êtes tout à fait prêtes et si vous avez suffisamment profité en prenant à cœur le bel exemple de ces deux