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CHAPITRE V.

Qui contient le récit complet de l’installation du nouvel élève de M. Pecksniff dans le sein de la famille de M. Pecksniff ; avec toutes les réjouissances qui eurent lieu à cette occasion, et la grande allégresse de M. Pinch.


Le plus vertueux des architectes et des arpenteurs possédait un cheval, auquel les ennemis déjà mentionnés plus d’une fois dans ces pages prétendaient trouver une ressemblance fantastique avec son maître, non pas précisément au physique, car c’était un cheval étique, sauvage, avec un maigre picotin pour régime : ce n’était pas comme M. Pecksniff ; mais au moral, parce que, disait-on, il promettait plus qu’il ne tenait. Il était toujours, en quelque sorte, sur le point d’aller, et n’allait jamais. Dans son pas de route le plus lambin, il n’en levait pas moins de temps en temps si haut les jambes, et simulait tant d’ardeur, qu’on n’aurait pu s’imaginer qu’il fît moins de quatorze milles à l’heure ; et il était si enchanté lui-même de sa célérité, et paraissait si peu craindre la concurrence des plus habiles coureurs, qu’on avait toutes les peines du monde à ne pas se laisser prendre à cette illusion. C’était une espèce d’animal à mettre au cœur des étrangers un vif rayon d’espérance, mais à remplir du plus triste découragement ceux qui pouvaient le connaître. Sous quel rapport, avec ces traits de caractère, pouvait-on raisonnablement le mettre en parallèle avec son maître ? C’est ce que peuvent expliquer seuls les ennemis de cet excellent homme. Mais enfin, il n’est, hélas ! que trop vrai de dire (quel déplorable exemple du peu de charité de ce monde !) qu’ils avaient fait cette comparaison.

Par une belle matinée de gelée, toutes les pensées et toutes les aspirations de M. Pinch se concentraient sur ce cheval et sur le véhicule à capote auquel l’animal était habituellement attelé (espèce de cabriolet à gros ventre) ; c’est en effet dans ce galant équipage qu’il se rendait seul à Salisbury pour y chercher le nouvel élève et le ramener triomphalement au logis.

« Sois béni dans ton cœur simple, ô Tom Pinch ! Avec quelle fierté tu as boutonné cette redingote étriquée que depuis tant