Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/85

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lines, les coteaux, les pâturages, semés de paisibles moutons et de bruyants corbeaux, se déployèrent aussi radieux que s’ils s’étaient habillés tout battant neuf pour cette occasion. Le ruisseau, par imitation, ne voulut pas rester plus longtemps gelé, et se mit à courir vivement, à trois milles de là, pour en porter la nouvelle au moulin à eau.

M. Pinch marchait cahin-caha, rempli d’agréables pensées et sous l’influence de la plus belle humeur, quand il aperçut sur la route, devant lui, un voyageur à pied, qui cheminait dans la même direction d’un pas vif et léger, chantant d’une voix haute et claire, et pas trop mal, vraiment. C’était un jeune homme d’environ vingt-cinq à vingt-six ans. Il était vêtu d’une façon si libre et si dégagée, que les longs bouts de sa rouge cravate, négligemment nouée autour de son cou, flottaient aussi souvent par derrière que par devant ; et le bouquet de baies d’hiver qu’il portait à une des boutonnières de son habit de velours se balançait si bien de droite à gauche, que M. Pinch, en le regardant à l’envers, le voyait aussi clairement que si le pèlerin avait mis par mégarde son habit sens devant derrière. Le jeune homme continuait de chanter avec tant de force, qu’il n’entendit le bruit des roues qu’au moment même où elles furent presque sur son dos. Alors il tourna un visage original et une joyeuse paire d’yeux qu’il fixa sur M. Pinch, puis il s’arrêta aussitôt.

« Eh quoi ! Mark !… dit Tom Pinch, faisant halte. Qui se fût attendu à vous voir, ici ? En voilà une surprise ! »

Mark toucha le bord de son chapeau, et répondit, d’un ton qui contrastait tout à coup avec la vivacité de son allure, qu’il se rendait à Salisbury.

« Et puis, quel air égrillard ! dit M. Pinch, le considérant avec infiniment de plaisir. En vérité, je ne vous aurais pas cru à moitié si faraud, Mark !

— Je vous remercie, monsieur Pinch. Ça, c’est vrai que je ne dois pas être mal. Ce n’est pas ma faute, vous savez. Quant à être égrillard, c’est autre chose. »

Et ici il parut singulièrement s’assombrir.

« Comment ? demanda M. Pinch.

— Dame ! ça dépend des circonstances. On ne peut pas manquer d’être de bonne humeur et dans de bonnes dispositions, quand on est si bien vêtu. Il n’y a pas grand mérite à cela. Si j’étais déguenillé sans cesser d’être aussi jovial, alors je commencerais à trouver que ça n’est pas trop mal, monsieur Pinch.