Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/86

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— Ainsi vous chantiez tout à l’heure pour vous consoler d’être bien vêtu, Mark ? dit Pinch.

— Vous parlez toujours comme un livre, monsieur, répondit Mark avec un rire assez semblable à une grimace. Oui, vraiment, c’était pour cela.

— Eh bien ! s’écria Pinch, vous êtes, Mark, le plus étrange jeune homme que j’aie jamais connu. Il y a longtemps que je m’en doutais ; mais à présent, j’en suis tout à fait sûr. Je vais à Salisbury. Voulez-vous monter ? Je serai charmé de votre compagnie. »

Le jeune homme fit ses remercîments et accepta l’offre. Il monta aussitôt dans la voiture, où il s’assit sur le bord même du siége, la moitié du corps en dehors pour exprimer qu’il n’était là que par tolérance, et grâce à l’invitation polie de M. Pinch.

Chemin faisant, ils reprirent ainsi la conversation :

« J’avais dans l’idée, dit Pinch, en vous voyant si pimpant, que vous alliez vous marier, Mark.

— Eh bien, monsieur, j’y ai pensé aussi, répondit ce dernier. Il y aurait quelque mérite à être jovial avec une femme, surtout si elle était maussade et si les enfants avaient la rougeole. Mais j’ai une peur terrible d’en faire l’expérience, et je ne sais pas si ça m’irait.

— Vous n’aimez donc pas quelqu’un par hasard ? demanda Pinch.

— Non, pas particulièrement, monsieur, à ce que je peux croire.

— Mais, d’après votre manière de voir, Mark, dit M. Pinch, il me semble que cela ne vous irait déjà pas si mal d’épouser une femme que vous n’aimeriez pas et qui vous fût très-désagréable.

— En effet, monsieur ; mais ce serait peut-être pousser le principe un peu loin, n’est-il pas vrai ?

— C’est bien possible, » dit M. Pinch.

Et tous deux se mirent à rire de bon cœur.

« Dieu vous bénisse, monsieur ! reprit Mark. Vous ne me connaissez qu’à moitié, tout de même. Je ne pense pas qu’il existe au monde un individu qui pût aussi bien que moi, si j’attrapais seulement une chance, prendre le dessus, dans des circonstances qui rendraient d’autres hommes tout à fait malheureux. Mais c’est cette chance-là que je ne peux pas attraper. Je défie qui que ce soit de deviner la moitié de ce qu’il y