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Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome II.djvu/1099

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EVE


aucun argument solide. Voir Suarez, De opère sex dierum, lib. iii, cap. 11, Opéra omnia, Paris, 1856, p. 176-178.

II. La tentation et la chute d’Eve. — La création d’Eve avait mis la dernière perfection à l’oeuvre de Dieu, en même temps qu’elle avait rendu complète la félicité d’Adam en lui apportant les avantages et les joies de la vie sociale pour laquelle il avait été fait. Gen., i, 18, 20 b, 23-24. Le démon, jaloux de la gloire de Dieu et de l’heureuse condition de ces deux créatures, qu’il voyait presque égales aux anges, Ps. viii, 6, résolut de troubler par le péché l’ordre du monde et le bonheur d’Adam et d’Eve. Sap., ii, 24 ; II Petr., ii, 4 ; Jude, 6. C’est à celle-ci qu’il s’adressa de préférence, comptant qu’il lui serait plus aisé de la séduire, et qu’elle, à son tour, entraînerait facilement dans sa chute le compagnon inséparable de sa vie. Cf. Job, ii, 9-10 ; Tob., xi, 22. — Cette tentation toutefois ne pouvait être qu’extérieure, comme elle le fut plus tard pour Notre -Seigneur Jésus-Christ, Matth., iv, 11 ; car, en vertu des privilèges de l’état d’innocence, Eve était incapable d’erreur, au moins d’erreur nuisible, dans son intelligence, et, du côté de la volonté, il n’y avait point en elle de concupiscence que le démon pût exciter pour la porter au mal. S. Thomas, 2 a 2=, q. 165, a. 2, ad 2 um ; Suarez, De opère sex dierum, lib. iv, 1856, t. iii, p. 327. Eve ne pouvait donc pécher qu’autant qu’elle y serait amenée par la persuasion. Le démon, pour cacher son dessein et en assurer le succès, Théodoret, Qusest. xxxii in Gènes., t. lxxx, col. 130, se mit dans le corps d’un serpent, « le plus rusé des animaux, » Gen., iii, 1, et, se servant de lui comme d’un instrument, il aborda Eve. « Pourquoi, lui dit-il, le Seigneur vous a-t-il commandé de ne pas manger [du fruit] de tous les arbres du paradis ? » Gen., iii, 1. Eve vit le serpent s’approcher d’elle et l’entendit lui parler sans en être effrayée, parce que, dans l’état d’innocence, dit saint Jean Chrysostome, cet animal lui était soumis comme tous les autres, à la manière de nos animaux domestiques, et qu’il ne pouvait lui nuire. S. Chrysostome, Homil. xvi in Gen., 1, t. lui, col. 127 ; S. Thomas, l a, q. 94, a. 4, ad 2 um. — Les paroles du serpent sont en opposition directe avec la vérité du précepte formulé par Jéhovah. Gen., ii, 16. C’est donc un mensonge fabriqué par le démon pour dépeindre Dieu comme un maître dur, exigeant, ennemi de la liberté de l’homme, et jeter par là dans le cœur d’Eve des germes de mécontentement et d’aversion. — Eve lui répondit : « Nous mangeons de tous les fruits du paradis ; mais, pour l’arbre qui est au milieu du paradis, Dieu nous a défendu d’en manger et d’y toucher, de peur que nous ne mourions. » Gen., iii, 2-3.

Eve, en entrant ainsi en conversation avec celui que sa question seule eût dû lui rendre suspect, commit au moins une faute d’imprudence. S. Chrysostome, Homil. xvi in Gènes., 2, t. lui, col. 127. Cependant la plupart croient qu’elle ne fut pas coupable dans ce début de l’entretien, et que sa faute commença seulement avec la complaisance orgueilleuse que la réplique de Satan, Gen., m, 4-5, fit naître dans son esprit. Voir S. Thomas, 2 a 2°, q. 163, a. 1, ad 4 nm ; Suarez, De opère sex dierum, lib. iv, cap. ii, édit. Vives, t. iii, p. 335. Le démon saisit au bond, en quelque sorte, les dernières paroles de la femme ; il se hâta de dissiper la crainte qu’elles exprimaient : « Nullement, lui dit-il, vous ne mourrez pas ; car Dieu sait qu’au jour où vous mangerez de ce fruit, vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux (hébreu : comme Dieu), sachant le bien et le mal. » Gen., iii, 4-5. Eve écouta cet imposteur au lieu de le repousser. Elle vit donc « que l’arbre était bon à manger, et qu’il était un plaisir pour les yeux, et qu’il était désirable pour donner l’intelligence ». Gen., iii, 6 (d’après l’hébreu). Chaque mot peint les ravages rapides que la tentation avait faits dans le cœur d’Eve. Le fruit a toujours la même apparence, mais les yeux de la femme sont changés ; ils re çoivent les impressions mauvaises et le lui font trouver désirable ; « elle le cueille » enfin et consomme ainsi son péché. Gen., iii, 6. — Ce péché fut un acte de désobéissance intérieure et extérieure à une défense formelle du Créateur. Gen., ii, 17. C’est de cette faute que l’Esprit -Saint a dit que « le péché a commencé par la femme, et que c’est par elle (la femme) que nous mourons tous ». Eccli., xxv, 13. Et toutefois cela ne peut s’entendre de ce péché considéré isolément. La faute d’Eve, quelque grave qu’elle fût, n’était pas le péché originel, le péché du chef de l’humanité, et les paroles de Eccli., xxv, 13, ne doivent s’appliquer au péché de la première femme qu’autant qu’il fut complété par celui du premier homme, ce qui eut lieu aussitôt après. Rom., v, 12. Voir S. Thomas, l a 2 æ, q. 81, a. 5. Eve, en effet, ayant mangé du fruit défendu, « en donna à son mari, qui en mangea. » Gen., iii, 6. — Les Pères sont unanimes à voir dans le récit de la tentation d’Eve l’histoire d’un fait réel. Origène seul l’a interprété allégoriquement, Contra Celsum, iv, 39, t. xi, col. 1090, et Cajetau, seul cette fois encore entre les théologiens, a partagé son sentiment, comme il l’avait fait pour l’histoire de la création de la première femme. Comment., t. i, Lyon, 1639, p. 25. Pour la réfutation de Cajetan, voir, entre autres, Suarez, De opère sex dierum, lib. iv, cap. i, 1856, t. iii, p. 325 et suiv.

III. La sentence de Dieu contre Eve. — Lorsque Dieu, après le péché d’Adam et d’Eve, leur demanda compte de leur conduite, Eve s’excusa à l’exemple d’Adam, qui venait de rejeter sa faute sur elle, et répondit au Seigneur que le serpent l’avait trompée. Gen., iii, 12-13. Dieu maudit alors le serpent, c’est-à-dire Satan, dont cet animal avait été l’instrument inconscient, - S. Augustin, De Gen. ad litteram, xi, 36, t. xxxiv, col. 449 ; puis il prononça sa sentence contre Adam et contre Eve, en commençant par celle-ci : « Je multiplierai beaucoup, lui dit-il, les souffrances de tes grossesses ; tu enfanteras tes fils dans la douleur ; vers ton mari seront tes désirs (tu auras à attendre tout de lui), et il te dominera. » Gen., iii, 16, selon l’hébreu. Ce châtiment répondait bien à la nature de la faute d’Eve, dont l’orgueil et la sensualité formaient l’élément essentiel. Il répondait également, par sa double forme, à la condition de la première femme : il la frappait comme épouse et comme mère, parce qu’au lieu d’être à son mari une aide pour le bien, Gen., ii, 18, elle l’avait entraîné au mal, et qu’elle avait par là, du même coup, provoqué la déchéance de ses enfants. — On ne saurait toutefois affirmer que cette sentence ait eu pour résultat un changement réel dans la condition de la femme considérée comme épouse. Elle était, en effet, déjà subordonnée à l’homme dans l’état d’innocence. I Cor., xi, 9 ; S. Augustin, De Gen. ad litteram, xi, 37, t. xxxiv, col. 450 ; De Civit. Dei, XIX, xiv, t. xli, col. 643 ; S. Thomas, 1, q. 92, a. 1 ; 2* 2°, q. 164, a. 2, ad 1° », Elle n’était pas néanmoins sa servante, mais sa compagne, Gen., ii, 23-24 ; Tob., vii, 8, partageant avec lui l’honneur de la ressemblance divine. Gen., i, 27. Voir Adam, t. i, col. 174. Or nous voyons, par plusieurs passages du Nouveau Testament, que depuis la chute elle est sans doute subordonnée à son mari comme auparavant, mais sans avoir toutefois rien perdu de cette dignité primitive I Cor., xi, 7°, 11-12 ; Eph., v, 22 ; Col., iii, 18-19 ; I Petr., m, 1, 7 ; cf. Prov., xxxi, 10-31 ; Eccli., xxxv, 25-26, etc. Le sens de cette partie de la sentence divine serait donc que, par une conséquence naturelle de son péché, la sujétion de la femme lui sera dure et pénible, et que Dieu, de son côté, imprime à cette sujétion le caractère de pénalité inhérent à toutes les suites de la faute originelle. L’homme, déchu pour avoir voulu plaire à sa femme, fera souvent dégénérer vis-à-vis d’elle son autorité en tyrannie, la traitera en servante ou en esclave, l’avilira par la polygamie et le divorce. Eve a pu, du reste, saisir comme un indice de ce changement dans les paroles améres d’Adam : « La femme que vous m’avez donnée ! »