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JOB (LIVRE DE)


dire une intrigue que les événements embrouillent d’abord, puis dénouent ; ce n’est pas davantage une épopée, car la narration, très brève par rapport au reste, n’est pas le fond du poème, mais seulement un complément accessoire quoique essentiel ; de même l’expression lyrique des sentiments n’est pas le but de l’auteur, elle n’est que l’effet spontané de son éloquence naturelle, de son exubérante imagination et de la facilité avec laquelle il s’identifie à ses personnages. Job est la production puissante d’un génie créateur, une œuvre littéraire grandiose qu’il serait oiseux et puéril de vouloir ramener aux règles édictées par Aristote, ou faire rentrer dans quelqu’un des genres usités chez les littérateurs indo-européens. Tout ce qu’on peut dire, c’est que l’écrivain se propose avant tout d’instruire et que son ouvrage appartient, par là même, au genre didactique.

Beauté littéraire.

On est unanime à l’admirer. « La langue du livre de Job est l’hébreu le plus

limpide, le plus serré, le plus classique. On y trouve toutes les qualités du style ancien, la concision, la tendance à l’énigme, un tour énergique et comme frappé au marteau, cette largeur de sens éloignée de toute sécheresse, qui laisse à notre esprit quelque chose à deviner, ce timbre charmant qui semble celui d’un métal ferme et pur. » Renan, Le livre de Job, étude prélim., in-8°, Paris, 1859, p. xxxvi. Cornill, Einleitung, 4e édit., in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1896, p. 233, appelle Job 6 la couronne des livres sapientiaux, une des plus merveilleuses créations de l’esprit humain ». Tout y décèle, avec une puissance et une richesse de conception extraordinaires, un art consommé qui s’étend jusqu’aux moindres détails. Les caractères, par exemple, sont parfaitement soutenus. Éliu est jeune, impétueux, diffus, plein de pensées qui s’embarrassent mutuellement et ne trouvent pas d’expression adéquate ; avec cela, sensé, bienveillant, généreux. Les trois amis de Job, dont le rôle est presque identique, ne se ressemblent pourtant pas et représentent trois nuances bien tranchées. Éliphaz est âgé, grave, jaloux de sa réputation de sagesse héréditaire ; mais la contradiction l’offense, l’irrite et le fait sortir de lui-même. Baldad est d’âge moyen, riche et bien né, présomptueux et arrogant ; il ne fait guère que répéter les raisons du précédent, en y ajoutant cependant de beaux développements poétiques. Sophar est fougueux, emporté, loquace, insolent, emphatique, sûr de lui, comme il sied à un jeune homme. — La forme est si imagée, le tour si vif, la pensée si noble, le ton si éloquent, que ce dialogue, stationnaire pour ainsi dire, ne cause au lecteur aucune fatigue.

Divitiondu livre.

Voici maintenant la structure

extérieure et pour ainsi dire le squelette du poème. Il comprend : 1° un Prologue (en prose). — Prospérité et épreuves de Job, i-n ; 2° le Dialogue de Job et de te* trois ami*, m-xxzi, qui forme la majeure partie du livre et renferme : 1. le prélude : Plaintes de Job, iii, et S. multiple discussion entre Job et ses amis. I— diia.ittion. — a) Discours d’Éliphaz, iv-v, et réponse de Job, vi-vn. — b) Discours de Baldad, viii, et réponse de Job, ix-x. — c) Discours de Sophar, xi, et réponse de Job, xii-xrv. — // discussion. — a) Reprise d’Éliphaz, xv, et réplique de Job, xvi-xvii. — 6) Reprise de Baldad, xviii, et réplique de Job, xix. — c) Reprise de Sophar, xx, et réplique de Job, xxi. — /// ditcuttion. — a) Dernier assaut d’Éliphaz, xxii, repoussé par Job, xxiii-xxiv.

— b) Quelques mots de Baldad, xxv ; Job riposte, xxvi.

— c) Monologue de Job, xxvii-xxxi. — 3° Intervention d’Éliu, xxxii-xxxvii. — 4° Théophanie et discourt de Jéhovah, xxxviii-xli. — 5° Épilogue (en prose). Les trois amis sont blâmés et Job est récompensé, xi.n.

II. Cakonicité, autorité. — 1° Place dans le canon.

— Aucun doute ne s’étant jamais produit, ni parmi les Juifs ni parmi les chrétiens, sur la canonicité du livre

de Job, il est superflu d’insister sur ce point. — La place occupée par le livre de Job dans le canon est très variable. Dans la Bible hébraïque, il fait partie des Hagiographes (Kefûbîm) et suit les Psaumes, quand ceux-ci viennent après un autre livre des Kefûbim, ou bien les Proverbes, quand les Psaumes commencent la série. En grec. Job précède maintenant les Psaumes et suit immédiatement les livres historiques ; il en est de même en latin, dans l’édition officielle de la Vulgate, mais les manuscrits anciens, tant grecs que latins, lui donnent comme d’ailleurs aux autres livres, les places les plus diverses. Voir, pour les manuscrits hébreux et grecs Ryle, The Canon of the Old Testament, in-8°, Londres, 1892, p. 281 ; pour les latins, S. Berger, Hittoire de la Vulgate, in-8°, Paris, 1893, p. 331-339. Chez les Syriens Job venait après le Pentateuque.

Caractère historique de Job.

L’opinion mentionnée

dans le Talmud (Baba bathra, t » 15), que c Job n’a jamais existé et n’est pas un être réel mais une parabole », ne fut jamais dominante même parmi les Juifs, aussi cette affirmation fut-elle plus tard modifiée ainsi : c Job n’a existé que pour être une parabole. » Tous les Pères, sans exception, regardent Job comme un personnage historique. Ils en ont pour garant l’Écriture même. Ézéchiel, xiv, 14, 20, range Job, à côté de Noé et de Daniel, au nombre des saints dont les vertus seraient impuissantes à conjurer le courroux divin. Pour ne rien dire de Tobie, ii, 12-15, où Job n’est nommé que dans la Vulgate, saint Jacques, v, 11, écrit aux fidèles : i Vous avez entendu (raconter ou lire) la patience de Job et vous avez vu quelle fin le Seigneur (mit i ses épreuves), car le Seigneur est clément et miséricordieux. » Aussi l’Église latine fait-elle mention de Job au martyrologe, le 10 mai, et l’Église grecque le 6 mai. Cf. Acta sanetorum, maii t. ii, p. 492 ; pour les textes des Pères, cf. Knabenbauer, Commentar, 1888, p. 12-13.

Vérité historique du Livre de Job.

Si tout le

monde à peu près s’accorde à reconnaître l’existence réelle de Job, les protestants sont très divisés sur la valeur historique du livre. Les uns n’y voient qu’un pur roman (Reuss, Hengstenberg, Merx) ; d’autres y découvrent un noyau historique assez léger (Cheyne, Budde) ; d’autres encore augmentent un peu la dose d’histoire, tout en laissant prédominer la fiction (Delitzsch, Driver, Davidson, etc.). — Il est clair que Job et ses amis ne parlaient point en vers et il n’est pas probable qu’un dialogue improvisé, reproduit tel quel, présentât cet ordre, cette régularité de plan, cet enchaînement admirable dans le développement du sujet. Une conversation n’est pas une thèse, ni une suite de monologues. Aussi, depuis Huet, les interprètes catholiques admettent-ils sans difficulté c que Job et ses amis n’ont prononcé que le fond du discours qu’on leur met â la bouche et quela diction [entendue dans le sens le plus large] appartient à l’auteur sacré ». Le Hir, Le Livre de Job, in-8°, Paris, 1873, p. 232. La part exacte de l’auteur reste impossible à déterminer. Saint Thomas, Expotit. in Job, Opéra, Parme, t. xiv, p. 126, pense que la théophanie peut n’avoir été qu’une révélation intérieure projetée au dehors. À plus forte raison, la scène où Satan est représenté dans le conseil de Dieu est-elle dramatisée, pour mettre en relief cette double vérité que le démon est jaloux de la vertu de l’homme, mais qu’il ne peut le tenter sans la permission de Dieu. Tout le monde accorde aussi que les chiffres exprimant la fortune de Job, soit avant soit après l’épreuve, sont des nombres ronds. Il y a également, on ne doit pas le méconnaître, dans le récit des malheurs fondant coup sur coup sur le saint homme, un procédé artificiel que l’on peut ne pas prendre à la rigueur de la lettre. Quatre fois, un serviteur, le seul échappé au désastre, vient porter son triste message, juste au moment où le précédent achève de s’acquitter du sien. Néanmoins, comme il s’agit d’événements sur-