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PELUSE

emporte le sens de « boue », tout comme Πηλουσίον qui en serait alors l'équivalent grec. Péluse était située à l’extrémité nord du Delta orienta], à la bouche même de la branche du Nil à laquelle elle donna son nom, la Pélusiaque. Les marais et les fondrières l’entouraient. « Son nom, dit Strabon, XVII, i, 21, lui vient précisément de la boue et des marais : ὠνόμασται δ’ἀπὸ τοῦ πηλοῦ καὶ τῶν τελμάτων. » C’est appuyé sur cette analogie, peut-être aussi sur quelque texte plus pur des Septante et sur quelque tradition juive, que saint Jérôme aura rendu Sin par Péluse. On n’a guère contesté cette assimilation de noms, assimilation que rappelle encore aujourd’hui la dénomination de Tinéh, « boue, » donnée par les Arabes à un fort en ruines de Péluse. Cf. d’Anville, Mémoires sur l’Égypte ancienne et moderne, 1766, p. 96-97 ; Steindorff, Beiträge zur Assyriologie, t. i, 1890, p. 589 ; Griffith, art. Sin, dans Hastings, Dictionary of the Bible, t. iv, p. 336.

II. Son importance. — Doublement importante était Péluse, comme station commerciale et comme poste militaire. Par la mer arrivaient à elle les' vaisseaux phéniciens, cypriotes et grecs. De là ils pénétraient dans l’intérieur du pays, surtout depuis Psammétique Ier (663-609 avant J.-C.) qui avait favorisé l'établissement des Grecs dans la région extrême de la branche pélusiaque. Hérodote, ii, 151. Par terre, six à sept jours de marche seulement séparaient Péluse de Gaza : elle était donc le confluent des caravanes et un point central du trafic entre l’Asie et l’Afrique. En conséquence, elle était aussi le poste le plus exposé aux ennemis de l’est : Péluse prise, les conquérants tenaient la clef de l’Égypte, et la route de Memphis s’ouvrait devant eux. Mais sa ceinture de marais la rendait difficilement abordable. « On s’explique par cette disposition des lieux comment l’entrée de l’Égypte est si difficile du côté du Levant, c’est-à-dire par la frontière de Phénicie et de Judée, seule route pourtant que puisse prendre le voyageur qui vient du pays des Nabatéens, bien que cette partie de l’Arabie, la Nabatée, soit elle-même contiguë à l’Égypte, 'l’ont l’espace compris entre le Nil et le golfe Arabique, dont Péluse se trouve former le point extrême, appartient en effet déjà à l’Arabie et n’offre qu’un désert ininterrompu qu’une armée ne saurait franchir. » Strabon, XVII, i, 21, traduction Amédée Tardieu, t. iii, y. 420. C’est pourquoi les Pharaons qui se souvenaient des campagnes d’Asarhaddon et d’Assurbanipal durent mettre à profit cette situation avantageuse, ce chemin nécessaire des envahisseurs, et en faire le boulevard contre lequel, dans leur pensée, viendrait se briser la vague des peuples asiatiques. Quelques années après la première campagne de Nabuchodonosor (583), Amasis en éloigna même les mercenaires grecs et leurs colonies par crainte de les voir faire cause commune avec l’ennemi, et les remplaça par des troupes plus sûres. Hérodote, n, 154. Nabuchodonosor menaçait de nouveau l’Égypte. Dès 571, Ézéchiel, xxix, 1, avait annoncé le retour du Chaldéen. Malheureusement les documents égyptiens que l’on possède nous laissent ignorer jusqu’au nom de Péluse. Hérodote nous permet d’y suppléer. Il a connu la branche pélusiaque, ir, 17, 151 ; il nous raconte l’entrée en Égypte de Cambyse en 525, sous le règne de Psammétique III. Le Pharaon vint attendre le Grand-Roi à Péluse, mais ne put empêcher la ville d'être emportée après une journée de lutte. Memphis ouvrit bientôt ses portes et la Haute-Égypte se plia docilement au joug du vainqueur. Hérodote, iii, 10-13. C’est à peu près ce qui dut se passer quarante ans plus tôt, en 568, dans la deuxième campagne de Nabuchodonosor. Voir No-Amon, t. IV, col, 1652, 3°. À n’en pas douter, Péluse était déjà ce que nous la voyons être sous Psammétique III. Quelques années avant cette même date, Dieu par la bouche d'Ézéchiel pouvait donc mettre Péluse en parallèle avec Memphis et Thèbes, et dire en toute vérité : « Je verserai mon indignation sur Péluse, la force de l’Égypte, j’exterminerai la multitude de No (Thèbes). Et je mettrai le feu dans l’Égypte. Péluse sera à la torture comme une femme en travail. No (Thèbes) sera détruite et Memphis sera chaque jour dans l’angoisse. » Ezech., xxx, 15-16. Après Nabuchodonosor et Cambyse, d’autres envahisseurs venus par la route d’Asie devaient montrer encore, dans l'ère ancienne, qu’au sort de Péluse était lié d’ordinaire le sort de Memphis et de la Haute-Égypte. Qu’il suffise de rappeler Xerxès Ier, en 490, Artaxèrxes Ier en 460, Artaxerxès III ou Ochus en 341, Alexandre en 331, Gabinius et son lieutenant Marc-Antoine en 55, Octave en 30. C’est en vue de Péluse que Pompée fut lâchement assassiné (48).

III. La fin de Péluse. — À l'époque romaine, Péluse devint la métropole de l’Augustamnique. Lequien, Oriens Christianus, t. ii, p. 310. Longtemps encore elle compta parmi les places principales du Delta, bien que dès lors l’attention se portât surtout vers l’occident de l’Égypte. Au ive siècle, ses monastères eurent du renom. Saint Isidore le Pélusiote (350-435 environ) nous a laissé un nombre considérable de lettres d’où l’on pourrait tirer le piquant tableau d’une ville gréco-romaine d’Égypte. Pour les Coptes, elle s’appela Ⲡⲉⲣⲉⲙⲟⲩⲏ. Parmi les évêques d'Éphèse, on rencontre Eusèbe de Peremoun, en grec Πηλουσίον. Labbe, Sacrosancta Concilia, t. iii, col. 1084. Comparant le copte Peremoun avec l'égyptien Am, capitale du XIXe nome de la Basse-Égypte, Brugsch crut avoir retrouvé dans ce dernier le nom de Péluse par l’entremise de OⲘⲈ « boue ». Dictionnaire géographique de l’Égypte ancienne, Supplément, 1880, p. 1091 ; Die Aegyptologie, 1891, p. 452. Mais en 1886 les fouilles de Tell-Nebeshéh ont révélé le site de Am à cinquante-cinq kilomètres environ à l’ouest de Péluse et à mi-chemin entre Taniset Salahieh. Cf. Pétrie, Tanis, Part, ii, Tell-Nebesheh, 1888, p.14-37 (Ve Mémoire de l’Egypt Exploration Fund). Pour les Arabes, Péluse fut El-Fermâ ou Farmâ. « La liste des évêchés coptes donne l’égalité suivante : = Ⲡⲉⲗⲟⲩⲥⲓⲟⲩ = Ⲡⲉⲣⲉⲙⲟⲩⲏ =El-Fermâ. » Amélineau, La géographie de l’Égypte à l'époque copte, 1893, p. 317 ; cf. d’Anville, loc. cit. ; Quatremére, Mémoires géographiques et historiques sur l’Égypte, 1811, t. i, p. 259-260 ; Champollion, L’Égypte sous les Pharaons, 1811-1814, t. ii, p. 82-87. — Renouvelant les exploits des Assyriens et des anciens conquérants, les troupes de Chosroès prirent Péluse en 616 ; Amrou s’en empara en 640. Baudouin Ier la brûla en 1117. Il n’en est plus question après le XIIe siècle. La branche pélusiaque abandonnée à elle-même finit par s’envaser ; la mer que l’eau du fleuve ne refoulait plus pénétra dans les marécages, y détruisit les bandes cultivées et rendit la région déserte. « La plaine saline de Péluse… vaste et unie comme la surface des eaux d’un lac tranquille, dont elle offre une parfaite image, est formée d’un sable humide et gras à la marche. Toutes les parties n’en sont pas également fermes ; car il en est de fangeuses et de mouvantes, dans lesquelles il serait dangereux de s’engager. » J.-M. Lepère, Mémoire sur le canal des deux mers, dans Description de l’Égypte, t. xi, 2e édit. 1822, p. 334. À partir de Port-Saïd, sur une longueur de trente kilomètres, le canal de Suez sépare aujourd’hui cette plaine du lac Menzaléh. Au-dessus de la morne étendue seules deux grandes buttes persistent, dont l’une, celle de l’ouest, s’allonge à deux kilomètres de la mer, à vingt stades, comme Strabon, XVII, i, 21, le disait de Péluse. Elle lui est parallèle et porte les débris d’un temple dans une large enceinte de briques rouges. Ce sont des ruines d'époque romaine ou byzantine qui recouvrent la vieille cité égyptienne. Leur éloignement de tout centre habité, la difficulté de s’y ravitailler ont empêché jusqu'à ce jour d’y entreprendre des fouilles. Ces fouilles cependant peuvent seules, dans un sens ou dans l’autre, lever les