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PENTATEUQUE

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bienfait divin, rappelé à la mémoire des descendants d’Israël. Celait de ceux-là mêmes qui avaient été opprimés en Egypte et qui venaient d'être délivrés que l’auteur ravivait des souvenirs récents et communs. Leurs descendants éloignés n’auraient pas pu êire frappés à ce point par la mémoire de faits, dont ils n’avaient pas été les témoins oculaires.

D’autre part, rien dans le Pentateuque n’indique que les Israélites aient déjà occupé définitivement le pays de Chanaan. Leurs ancêtres, Abraham, Isaac et Jacob, qui avaient quitté la Chaldée, n’y ont vécu qu’en nomades et en étrangers. Dieu leur avait seulement promis de donner à leur postérité la terre où ils vivaient. Les promesses réitérées, faites aux patriarches, sont mentionnées pour rappeler les droits d’Israël à la possession future de la Terre promise. Si Jacob vient en Egypte pendant la famine, c’est avec le dessein de retourner en Chanaan. Gen., xlvi, 4. Il demanda d'être enseveii avec ses pères au champ d’Ephron, Gen., xlix, 29-31, et son désir fut accompli. Gen., L, 4-13. Joseph demanda aussi que ses ossements fussent emportés par ses frères, lorsqu’ils retourneraient au pays de la promesse. Gen., L, 23-24. Dieu confia à Moïse la mission de faire sortir son peuple de l’Egypte et de le conduire dans la terre des Chananéens. Exod., iii, 8 ; VI, 2-8. Quand, irrité contre Israël, il veut l’exterminer tout entier, Moïse lui rappelle la promesse faite aux patriarches et obtient ainsi la grâce des coupables. Exod., xxxii, 13 ; xxxiii, 1. Le Seigneur promet la possession de Chanaan aux Israélites, s’ils pratiquent fidèlement ses lois. Lev., xx, 24. Cette promesse est fréquemment rappelée dans le Deutéronome. Les livres du milieu sont le récit de la marche d’Israël vers la Terre Promise. Moïse y conduit son peuple et il compare la terre, qu’il faudra conquérir, à l’Egypte. Deut., xi, 10. Dieu l’avait caractérisée comme une terre où coule le lait et le miel, Exod., iii, 8, 17, et les espions, de retour de leur exploration, décrivent le pays par ce trait. Num., xiii, 28. Les Israélites sont donc en route vers la Terre Promise. Une des plus grandes préocupations de Moïse est de les déterminer à y entrer et à en faire la conquête. Ils devaient gagner rapidement le pays. S’ils séjournent quarante ans au désert, c’est en punition de la révolte qui suivit le retour des espions envoyés en Palestine. Le délai écoulé, Moïse conduit le peuple jusqu’aux frontières, et choisit, avant de mourir, Josué comme chef de l’armée, et le charge de faire la conquête, Cf. F. Vigouroux, Les Livres Saints et la critique rationaliste, Paris, 1902, t. iii, p. 28-46.

Le récit n’est pas composé, comme on l’a prétendu, par un écrivain qui habite à l’ouest du Jourdain, c’est-à-dire dans la Palestine où Moïse n’a jamais pénétré. En effet, l’expression be'êber hay-yardên ne désigne pas nécessairement la contrée située sur la rive gauche du Jourdain. La signification doit être déterminée par le contexte, et dans le même verset, Num., xxxii, 19 (hébreu), elle désigne successivement les deux rives. F. Vigouroux, Manuel biblique, -12= édit., Paris, 1906, t. i, p. 467-468. On ne constate dans le Pentateuque aucune allusion certaine à la situation historique qui a suivi la conquête. Rien ne fait supposer que le peuple habite dans des villes et dans des maisons ; la législation convient à des nomades, vivant au désert et sous la tente. Il n’est parlé ni de Jérusalem ni de la royauté comme existante. Les allusions, signalées par les critiques, notamment dans les morceaux poétiques et prophétiques, visent l’avenir, et c’est le plus souvent par un préjugé contre la prophétie qu’on y voit un indice du passé. Les lois sacerdotales de l’Exode et du Lévitique ont l’empreinte du désert, à un degré tel que leur rédaction à une autre époque et en un autre lieu est hautement invraisemblable. Leur cadre invariable est le camp d’Israël. Le Tabernacle, par exemple, est portatif et répond à la

situation de nomades, qui ne peuvent avoir de sanctuairefixe. Prétendre, comme le font les critiques, qu’iln’est qu’une projection du Temple de Jérusalem dans le passé, c’est une hypothèse, qui est commandée par les besoins de la cause et qui ne rend pas comptede tous les détails de la construction et du service. D’ailleurs, il faut pour cela attribuer à l’auteur du codesacerdotal, qui l’aurait construit de toutes pièces, une imagination créatrice qui ne répond guère aux caractères^ qu’on lui prête. On prétend aussi que la couleur locale des lois du désert est l'œuvre du même auteur, qui se reportait en esprit à l'époque mosaïque. Le principal argument, sur lequel on appuie cette explication, est la promulgation de la plupart de ces lois sacerdotales aupied du Sinaï. Or, à ce moment, rien n'était plus étranger à la pensée de Moïse que la prévision d’un séjour prolongé d’Israël au désert. Moïse n’a donc pu rédiger les lois sinaïtiques en vue d’une situation qu’il ne prévoyait pas encore. Mais la rédaction définitive de ces lois a bien pu être faite après la révolte dont le séjour dans le désert pendant quarante ans fut la punition ; elle aurait par suite été rendue conforme à cette situation nouvelle. Aussi, quand le temps de l'épreuve est écoulé, quand la législation, temporaire et locale, , du désert touche à sa fin, Moïse promulgue à la génération nouvelle qui va traverser le Jourdain et conquérir le pays de Chanaan, des lois appropriées à la vie sédentaire et agricole qu’elle va mener dans la Terre Promise. Du reste, à vrai dire, seules les lois qui concernent les campements et le transfert de l’arche et du tabernacle, présentent ce caractère temporaire et provisoire. Primitivement, elles ne devaient être appliquées que pendant le voyage. Le législateur, parvenu au pays de Chanaan, les aurait abrogées et remplacées par des dispositions nouvelles. La révolte des Israélites après le retour des espions a changé la situation, et desprescriptions, portées pour une durée fort limitée, ont pu* être appliquées pendant quarante ans. Celles qui regardaient la descendance et les sacrifices pouvaient êtrepratiquées partout et en tout temps, hors du camp aussi bien que dans le camp. Il n’y a plus donc, de ce chef, . de> difficulté, et l’empreinte du désert que conservent les lois du culte israélile demeure un indice de la datede leur promulgation et de la rédaction du code qui les contient. F. Vigouroux, Les Livres Saints et la critique rationaliste, t. iii, p. 79-89 ; R. Cornely, Inlroductio specialis in hist. V. T. libros, part. i, Paris, 1887, . p. 57-60.

D’ailleurs, la forme elle-même de la législation du Pentateuque témoigne de son origine mosaïque. Il n’y a pas d’ordre rigoureux dans la disposition des lois. L’auteur les enregistre à l’occasion, en racontant lesfaits qui les ont amenées. Elles ne constituent pas uncode systématique. Elles ont été prises au jour le jour, suivant les occurrences. En dehors de la loi morale et religieuse, révélée par Dieu d’un seul coup, ou à desdates fixes, beaucoup de règles civiles sont le résultat de consultations adressées à Moïse. Des cas spéciaux exigent des solutions nouvelles et précisent l’application des lois générales. Des lois complémentaires, des retouches, des répétitions dépendent de circonstances parfois imprévues. Les premières lacunes sont ainsi comblées. Néanmoins la législation n’est pas complète. L’organisation politique n’est pas réglée. La loi sur la royauté est pleine de lacunes et ne vise qu’un avenir éloigné. Aussi Israël, après la conquête de la Palestine, n’aura pas de chef commun ; chaque tribu sera, pour ainsi dire, isolée et indépendante. Josué n’est chargé que de conquérir et de partager la Terre Promise. Cescaractères de la législation du pentateuque ne peuvent convenir qu'à Moïse et au temps du séjour d’Israël au désert. Ils confirment donc l’origine mosaïque des Ioisisraélites et du livre qui les contient. F. Vigouroux, .