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PENTATEUQUE


et codifiées dans des cadres ressemblants, sinon identiques. Le législateur n’a d’autre souci que la précision et la clarté.

Le narrateur est ordinairement simple et naturel, mais il a aussi les qualités du conteur oriental. Les récits sont vivants et saisissants. Il excelle à peindre ie caractère des personnages ; il exprime leurs sentiments intimes, multiplie les dialogues. Il aime la mise en scène, et il décrit les événements en quelques traits bien frappés. Son histoire est le plus souvent « necdotique. Elle renferme de fort belles pages. Sans parler du récit delà création, qui a une forme spéciale, on a admiré de tout temps l’achat du champ d’Hémor par Abraham comme une scène pittoresque des mœurs patriarcales, l’histoire si émouvante de Joseph et en particulier sa reconnaissance par ses frères, la narration dramatisée des plaies d’Egypte et de la délivrance des Israélites.

Le Deutéronome appartient à un genre littéraire spécial. C’est un corps de lois, exposé et expliqué dans ilne série de discours. Si la législation a sa forme particulière, les exhortations dans lesquelles elle est encadrée ont leur style propre. L’orateur ne se borne pas à rapporter les prescriptions législatives ; il veut surtout porter ses auditeurs à les pratiquer. Il les justifie donc et y joint souvent les motifs de les observer. C’est un prédicateur et un hoxiiéliste. Il expose longuement son sujet, en phrases pleines et riches, « n périodes bien remplies. Il aime à revenir sur les recommandations qu’il répète, et les mêmes manières de dire se pressent constamment sur ses lèvres. Les formules spéciales, très caractéristiques, qui font partie de ce que les critiques nomment le style deutéronomiste, reparaissent continuellement, et constituent des sortes de refrains. Ses longues périodes ne s’achèvent pas toujours, et on a signalé des anacoluthes, vi, 10-12 ; vin, 11-17 ; IX, 9-11 ; xi, 2-7 ; xxiv, 1-4. Moïse ici a le ton du prédicateur. Ses qualités dominantes sont l’onction et la persuasion. Quoiqu’il né manque pas d'énergie, il n’a pas là véhémence des prophètes. Il s’exprime avec clarté pour être compris du peuple auquel il s’adresse. Il s’insinue doucement dans l’esprit de ses auditeurs, et il ne se lasse pas d’insister sur l’observation fidèle de la loi divine. L’abondance de son exhortation tourne parfois en longueurs. Il remonte « n arrière et répète ce qu’il vient de dire.

VI. Prophéties messianiques. — Le Pentateuque contient les plus anciennes prophéties messianiques. — 1° Le protévangile. — La première a été promulguée au paradis terrestre par Dieu lui-même à Adam et à Eve après leur péché. Elle est renfermée dans la mystérieuse sentence, prononcée contre le serpent séduceur : « J'établirai une inimitié entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance ; celle-ci te brisera la tête et tu lui briseras le talon. » Gen., iii, 15. Ces paroles ne s’adressent pas au serpent et elles ne signifient pas l’aversion naturelle, instinctive, des hommes pour les serpents. Le serpent avait servi d’instrument à un être intelligent et méchant, à un esprit mauvais qui l’avait fait parler avec perfidie et perversité. Les Juifs ont reconnu en lui le démon tentateur de la femme. Sap., ii, 24 ; Apoc, xii, 9 ; xx, 2 ; Heb., ii, 14. Voir t. ii, col. 1368, 2119. Aussi la sentence divine s'étend-elle plus loin que le serpent visible et atteint-elle directement l’esprit tentateur. Un jour, Dieu établira entre lui et la femme une inimitié morale, telle qu’elle peut exister entre deux êtres raisonnables ennemis l’un de l’autre, Num., xxxv, 21, 22, « ntre Dieu et l’homme. Ezech., xxv, 15 ; xxxv, 5. Cette inimitié, qui diffère de l’horreur naturelle que les hommes éprouvent pour les serpents, régnera entre le démon et la femme, non pas le sexe féminin en général, quoique l’expression hébraïque, rrwNn, avec l’ar ticle, puisse avoir ce sens, mais une femme déterminée, et d’après tout le récit biblique, dans lequel le mot femme précédé de l’article désigne constamment Eve, la femme séduite par le serpent, plutôt qu’une femme future, présente seulement à la pensée divine, une femme unique en son genre et très excellente, la mère du Messie. La même inimitié, Dieu l'établira aussi entre la descendance du serpent et la descendance de la femme. Puisqu’il s’agit d’une inimitié morale, on doit exclure la postérité du serpent. Appliquée au démon, l’expression « descendance » est nécessairement métaphorique. Elle désigne ou les esprits mauvais, dont Satan est le chef, ou les hommes pervers, qui se sont mis sous l’empire du démon. Matth., xxiii, 33 ; Joa., viii, 44. Si telle est la descendance du serpent séducteur, la rigueur du parallélisme semble exiger que la « descendance » de la femme ait aussi un sens collectif et désigne la postérité de la femme, qui sera en haine et en lutte avec la lignée du serpent, le genre humain, qui sera un jour victorieux du démon. Mais plusieurs exégètes, s’appuyant sur l’autorité des Pères qui ont reconnu dans la femme, figurée par Eve, la mère du Messie, S. Justin, Dial. cum Tryph., 100, t. vi, coi. 709-712 ; S. Irènée, Cont. hier., JU, xxjjj, 7 ; V, xix, 1 ; c. xxi, 1, t. vii, col. 964, 1175-1176, 1179 ; S. Cyprien, Testim. adv. Judssos, II, ix, t. iv, col. 704 ; S. Épiphane, Hser., lxxvii, 18, 19, t. xlii, col. 729 ; S. Léon le Grand, Serm., xxii, t. liv, col. 729 ; pseudo-Jérôme, Episl. VI, ad amicum ssgrotum de viro perfecto, t. xxx, col. 82-83 ; S. Isidore de Péluse, Epist., 1. I, epist. ccccxxvi, t. 'lxxviii, col. 417 ; S. Fulbert de Chartres, Serm. IV, de nat. S. V., t. cxli, col. 320-321 ; S. Bernard, Boni, , ii, super Missus est, 4, t. clxxxiii, col. 63, l’entendent d’un « rejeton » unique, le Messie. Ils observent que, lorsque y-iî présente un sens collectif, le pronom qui

s’y rapporte se met régulièrement au pluriel. Gen., xv, 13 ; xvii, 8, 9, etc. On ne signale que trois exceptions à cette règle. Gen., xvi, 10 ; xvii, 17 ; xxiv, 60. Or ici le pronom est au singulier. Le nom signifie donc un rejeton en particulier, sens qu’il a Gen., IV, 25 ; II Heg., vu, 12, 13 ; I Par., xvii, 11, 12-.

Le résultat final de cette inimitié sera une lutte, diversement décrite dans la Vulgate et le texte hébreu. Tandis que la Vulgate, après les Septante, attribue la victoire sur le démon à la femme : Ipsa conteret caput luum, le texte original la rapporte à sa descendance (postérité ou rejeton). La leçon latine est fautive et on l’explique souvent par une erreur de copie. Tous les manuscrits hébreux sauf trois, les anciennes versions, tous les Pères grecs et la plupart des latins ont le masculin ipse. Le premier verbe hébreu est d’ailleurs à la troisième personne du masculin, et le pronom suffixe du second verbe est aussi masculin. Le pronom j*', n se rapporte donc à 7Il et non à ntfa. En outre, dans le texte

hébreu, la lutte est exprimée par le même verbe, répété dans les deux membres de phrase. La signification de ce verbe * i a été discutée. Il ne se rencontre qu’ici et Job, ix, 7 ; Ps. cxxxix, 11. On le traduit ou bien « briser, écraser », ou bien « dresser des embûches, observer, épier, chercher à atteindre ». Les Septante, les Pères grecs qui ont cité leur version et Onkelos ont adopté la seconde interprétation, généralement acceptée par les critiques modernes. Quoique saint Jérôme, Liber qusest. hebr. in Genesim, t. xxii, col. 943, préférât la signification : eonterere, il a traduit le second verbe par insidiaberis. Suivant cette interprétation, les combattants s’observent, s'épient et s’apprêtent à s’attaquer conformément à leur nature. La race de la femme cherche à écraser la tête du serpent, car c’est lui, et non sa descendance, qui est attaqué, et le serpent, qui rampe sur la terre, visele talon de l’homme etchercheàle mordre.