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RUTH (LIVRE DE)


trop récente. En rapprochant iv, 21 de Malth., i, 5, on voit que le père de Booz, Salrnon, avait épousé la célèbre Hahab quelque temps après la prise de Jéricho par Josué, en 1453. Voir Rahab, col. 934. D’après cela, les événements que raconte le livre de Ruth auraient eu lieu sous les premiers Juges. Mais alors on aurait un intervalle d’environ 400 ans (1455-1055) entre la naissance de Booz et le règne de David. Les partisans de cette opinion supposent qu’il manque un certain nombre de générations entre Booz et David. Il est certain qu’on en a omis plusieurs entre Phares et Booz, iv, 18-21, car six générations seulement pour environ neuf cents ans sont insuffisantes ; il faut donc admettre qu’en cet endroit les principaux ancêtres auront été seuls mentionnés. Voir Généalogie de Jésus-Christ, t. iii, col. 165-167. — Comme date des événements racontés au livre de Ruth, on a aussi désigné parfois la judicature de Samuel (1128-1095), celle d’Aod (après 1343), celle de Gédéon (1256-1216). Ce dernier sentiment s’appuie sur la famine mentionnée dans Ruth, i, 1, et Jud., vu, 4-5. Mais la famine qui sévit en Palestine au temps de Gédéon provenait surtout des ravages opérés par les Madiânites, tandis que celle que signale notre livre parait avoir eu plutôt des causes naturelles. D’ailleurs, en toute hypothèse, un fléau de ce genre est une chose trop fréquente en Palestine pour pouvoir servir de date précise. — De ce qui précède, il résulte qu’il n’est pas possible de déterminer d’une manière certaine l'époque où vivaient Ruth et Booz. Quoi qu’il en soit, le livre qui raconte leur mariage complète admirablement l’histoire des Juges. « Sans lui, , nous n’aurions connu Israël que d’une manière très imparfaite, et uniquement par le, dehors, durant la période tragique des Juges. Mais voici que ce petit livre nous révèle la vie intime des pieux Israélites d’alors, et nous la montre sous son jour le plus favorable. » L.-Cl. Fillion, la Sainte Bible commentée, t. ii, p. 120.

III. Date de la composition. — Les sentiments des interprètes et des critiques varient beaucoup sur l'époque où fut composé le livre de Ruth ; on l’a placée à toutes les périodes de l’histoire israélite qui se sont écoulées entre le règne de David et le temps des Machabées. Les commentateurs catholiques, entre autres le P. Cornely, lntrod. specialis, t. i, p. 234, et le P. von Hummelauer, Lib. Judicum et Ruth, p. 357, et plusieurs protestants orthodoxes, notamment MM. Keil, P. Cassel et Wrigth, dans les ouvrages cités plus loin, placent la composition du livre sous le règne de David, et, pour la plupart, vers la fin de ce règne. MM. E. Reuss, Œltli, Driver, etc., notablement plus tard, pendant la dernière période du royaume de Juda ; Reuss, entre la ruine du royaume d’Israël et celle du royaume de Juda ; d’autres, sous Ézéchias. Ewald, Gesch. des Volkes Israël, 3e édit., t. i, p. 107 ; Bertheau, Comment., 2e édit., p. 237, et le D r Kcenig, Einleilung in das A. T., p. 285, réclament une date beaucoup plus récente encore, et regardent le livre de Ruth comme un fruit de la captivité de Babylone. La plupart des néo-critiques vont le plus loin possible après l’exil : tels MM. Kuenen, Schrader, Wellhausen, Bertholet, Budde, Nowack, dans leurs Introductions ou leurs commentaires. Voir aussi E. Meyer, Geschichte der poet. National-Literatur der Hebrâer, in-8°, Leipzig, 1856, p. 500-504 ; C. H. Cornill, Einleitung in das A. T., 2e édit., p. 243 ; G. A. Barton, dans la Jewish Encyclopedia, t. x, p. 577. Les partisans d’une composition relativement récente mettent surtout en avant l’ancienne coutume mentionnée dans Ruth., iv, 7, qui consistait à remettre sa chaussure au propriétaire auquel on cédait son droit de propriété. Elle était usitée « autrefois » (hébreu : lefdnim ; Septante : e(ijtpoo6ev ; Vulgate : antiquitus). Voir E. Kautzsch, Abriss der Gesch. des alttestam. Schrifttums, in-8°, Leipzig, 1897, p. 115. L’au teur du livre croit devoir expliquer à ses lecteurs l’usage en question, tombé en désuétude ; mais il est signalé, Deut., xxv, 9, comme remontant au moins à Moïse, et, entre l'époque de Ruth et le moment où David arriva à l’apogée de sa gloire, il s'écoula environ 150 ans ; ce qui suffit largement pour expliquer comment cette coutume avait pu cesser d'être en vigueur dès la fin de la période des Juges, et par conséquent d'être connue. Cf. Keil, Richter und Ruth, p. 384. — On peut dire avec assez de vraisemblance que le livre de Ruth aura été difficilement composé après le règne de Salomon ; en effet, ce prince est fortement blâmé, III Reg., xi, 1-8, d’avoir épousé des femmes étrangères, et en particulier des Moabites et des Ammonites. Il ne l’aura pas été non plus pendant l’exil, puisque les Juifs vécurent alors plus que jamais séparés des autres peuples. — Les données du livre qui peuvent nous aider à fixer l'époque de sa composition sont peu nombreuses. Il en est deux, néanmoins, qui ont un caractère plus déterminé. — 1. Nous venons de le voir, l'épisode qui forme le fond du récit est daté des « jours où les Juges jugeaient, » i, 1. Il suit de là que, lorsqu’il fut rédigé, la judicature avait disparu comme forme de gouvernement et fait place depuis un certain temps à la monarchie. — 2. La généalogie qui termine l'écrit s’arrête brusquement à David. On peut conclure de là que ce prince régnait encore au temps de la composition, et qu’il avait déjà acquis une grande importance sous le rapport théocratique. On ne comprend guère que l’auteur, s’il n’a pas été contemporain du roi David, ne soit pas allé au delà de lui dans sa liste.

IV. Auteur du livre. — Si l’incertitude règne au sujet de l'époque précise où fut composé le livre de Ruth, à plus forte raison est-il impossible d’en déterminer l’auteur avec quelque vraisemblance. D’après le Talmud, Baba bathra, fol. 14 b, c’est le prophète Samuel qui aurait écrit le livre des Juges, celui de Ruth et les deux livres dits de Samuel. Le fait n’est pas impossible en soi, mais les preuves positives font défaut, et le style du livre de Ruth est tel, que des hébraïsants distingués ne croient pas possible que le même écrivain ait pu composer cet écrit et en même temps le livre des Juges et ceux de Samuel. Cependant cette opinion, qui était celle de Calmet et de Cornélius à Lapide, a encore aujourd’hui des partisans, entre autres le P. Cornely, lntrod. specialis in histor. Veteris Testam. libros, Paris, 1887, p. 233-234. Sans être au^si formel, le P. von Hummelauer, Comm. in lib> : Judicum et Ruth, p. 359-360, admet que le livre a pu être, sinon composé, du moins publié par Samuel. La question est actuellement insoluble.

V. Style. — Tout bref qu’il soit, le livre de Ruth a ses particularités bien marquées sous le rapport du style, qui ne ressemble à celui d’aucune autre partie de l’Ancien Testament. Les principales sont les suivantes : 1° les terminaisons en iii, au lieu de î, pour la seconde personne du féminin singulier, au temps imparfait : ii, 8, 21 ; (idebâqîn ; iii, 4, ta’asin ; iii, 18 ; (éde’in ; 2° les terminaisons en fi, au lieu de (e, pour la seconde personne du féminin singulier, au temps parfait : ii, 8, (a’abûri ; iii, 3, sam(i, yâradefi ; iii, 4, sâkab[i ; 3° les terminaisons eaûn, au lieu de w, pour la 3e personne du pluriel : ii, 9, iqsôrûn ; 4° les verbes 'âgan, « retenir, fermer », i, 13 ; sâbat, « présenter », u, 14 ; sâlal, « tirer », ii, 16 ; nilpa{, « se retourner pour voir », iii, 8 ; 5° le substantif ?ébe(, « gerbe », ii, 16, et l’adjectif mârà', « amer », au lieu de tnârâh, i, 20 ; 6° les conjonctions térem, « . avant que », iii, 14, et Idhên, « c’est pourquoi », au lieu de làkén, i, 13 ; 7° la locution 'eik ippol ddbâr, iii, 18, etc. Voir F. Keil, Lehrbuch der histor. krit. Einleitung, p. 415-416 ; E. Kcenig, Einleitung in das A. T., p. 286-287 ; J. R. Driver, An lntrod. to the Literature of the Old