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RUTH (LIVRE DE)


Test., 5e éd., Edimbourg, 1894, p. 426-427. Les Massorèles ne se sont pas toujours rendu compte de ces particularités et tes ont corrigées dans le texte, comme si elles eussent été des fautes. Un fait plus surprenant, c’est que « tous les interprètes modernes, qu’ils veuillent démontrer l’origine ancienne du livre ou lui assigner une date plus récente, invoquent cet argument (la preuve tirée du style), et que ces singularités, ils les appellent, les uns archaïsmes, les autres néologismes, ceux-ci bethléhémismes, ceux-là'moabilismes. Cependant, parce qu’elles se rencontrent surtout dans les entretiens (i, 13 ; ir, 8 ; iii, 3, 4), elles semblent ne démontrer qu’une chose : c’est que l’auteur, en transcrivant les entretiens, s’est tenu de très près à la source où il a puisé. » R. Cornely, Manuel d’Introd. historiq. et critiq. à toutes les Saintes Écrit., trad. franc., in-12, t. i, Paris, 1907, p. 349.

Ces contradictions des hébraïsants contemporains sont frappantes, et démontrent que ce genre de preuve peut devenir très facilement subjectif et arbitraire. Il est remarquable que les néo-critiques prétendent voir à tout instant dans le livre de Ruth des aramaïsmes, et par conséquent des expressions relativement récentes. « Le style du livre, dit Cornill, Einleitung, 2e éd., p. 343, a un coloris fortement araméen, et présente mainte particularité qui dénote avec une pressante nécessité l'époque d’après l’exil. » Mais il se trouve que les aramaïsmes mis en avant ne méritent nullement ce nom, et sont ou bien des expressions ordinaires, ou des archaïsmes représentant le langage populaire du temps de Ruth. Par exemple, on cite comme araméennes telles et telles.locutions employées de concert par le livre de Ruth et par ceux des Paralipomènes, de Daniel, d’Esdras, de Néhémie, etc. — celles-ci, entre autres : margelô(, iii, 7-8, 14, et Dan., x, 1 ; paras kendfîm, iii, 9, et Ezéch., xvi, 8 ; lâkên, i, 13, et Dan., ii, 6, 9 ; iv, 24, nâsd' nâëîm, i, 4, et II Par., xi, 21 ; xiii, 21 ; Esd., IX, 2 ; qiyyam, « confirmer, » iv, 7, et Esd., ix, 21, etc. — et l’on conclut aussitôt, à cause de ces quelques mots ou tournures, que l’histoire de Ruth ne saurait avoir été composée antérieurement à ces autres écrits. On allègue aussi, comme preuve d’une composition récente, le nom divin Saddaï, employé seul, sans être précédé de 'El : ce qui n’a jamais lieu ailleurs dans la simple prose, mais seulement au livre de Job.

Mais tout cela est fortement exagéré. Comme le dit M. Driver, l. c, p. 427, « ce style dans son ensemble… ne manifeste aucune marque de détérioration ; il diffère d’une manière palpable, non seulement de celui d’Esther et des Paralipomènes, mais aussi de celui des mémoires de Néhémie… ; il se tient au niveau des meilleures parties (des livres) de Samuel… Le style est classique dans son entier… En général, la beauté et la pureté du style (du livre) de Ruth désignent d’une manière beaucoup plus décisive (comme époque de la composition) la période antérieure à l’exil, que les expressions isolées, sur lesquelles on s’appuie, ne marquent la période qui suivit la captivité. » Le D r Kœnig affirme de même, Einleitung in das A. T., p. 287, que « les signes de la période la plus récente du développement de l’hébreu font défaut dans le livre » de Ruth. D’après lui, les formules hase mihi faciat Dominus et hsec addat, I, 17 (onze fois dans les livres de Samuel et des Rois), pelcmi 'almôni (iv, 1 ; cf. I Sam., xxi, 3 ; II fieg., VI, 8), la forme archaïque du pronom 'anoki (sept fois ; deux fois seulement 'ani), l’emploi constant du pronom relatif 'aSer (tandis que l’abréviation Se n’apparaît jamais) sont des preuves certaines d’antiquité sous le rapport du style. Les terminaisons signalées plus haut sont également des archaïsmes, car elles reproduisent des formes primitives.

VI. Caractère historique. — La simplicité et la candeur des récits prouvent en faveur de leur réalité

objective. L'écrit lui-même se présente comme voulant raconter des faits historiques. Cꝟ. 1, 1, et iv, 17-22. Dans ce dernier passage, la narration particulière qui forme le fond du livre est rattachée à l’histoire générale du peuple de Dieu. Nous savons d’ailleurs, par Malth., j, 5, que Booz, Obed et Ruth furent des personnages très réels. « Il n’a pas été inséré (dans le livre) un seul trait auquel on puisse reprocher d'être invraisemblable, à plus forte raison d'être historiquement impossible. » Œltli, Die geschichtl. Bagiographen, p. 214. Les moindres détails sont conformes aux circonstances de temps, de lieux, de personnes, telles que nous les connaissons par ailleurs. Les divers personnages que nous présente le livre de Ruth ont été peints sur le vif. Rien de plus réel, de plus vivant que Ruth, Noémi, Orpha, Booz, les femmes de Bethléhem et les différentes scènes qui décrivent leurs relations réciproques. Voir Œttli, loc. cit., p. 213-214. L’historien Joséphe a inséré ce récit dans ses Ant. jud., V, ix, 1-3, comme reproduisant des faits réels. Comment aurait-on songé à rattacher si étroitement le roi David au peuple odieux de Moab, si le fait n’eût été certain ?

L’accent de vérité qui règne partout est si frappant, que des critiques rationalistes assez nombreux ont reconnu tantôt la nature strictement historique de tous les événements racontés, tantôt au moins l’existence d’une tradition ancienne ayant servi de base à l'écrit. C’est ainsi que Kuenen admet partiellement le caractère historique du livre, en ce sens que David a eu véritablement une aïeule issue du peuple de Moab. Voir Bertheau, Das Buch der Richter und Ruth, 2 « éd., p. 239 ; Bertholet, Die fùnf Megilloth, p. 53. Kœnig, Einleitung, p. 266, croit aussi qu’il y eut d’abord une tradition orale correspondante des faits réels, que cette tradition fut mise par écrit, puis rédigée finalement sous sa forme actuelle par un Israélite qui avait de l’attrait pour les anciens usages et du talent pour peindre les caractères. Mais d’autres néo-critiques ne voient dans le livre de Ruth qu’un petit roman composé d’une manière plus ou moins habile. D’après J. Wellhaus’en, Die Komposilion des Hexateuchs und der hislor. Bûcher des A. Test., in-8°, 3 « éd., Berlin, 1899, p. 358, l’histoire de Ruth n’aurait d’autre fondement que le passage biblique I Reg., xxii, 3-4, où il est dit que David, à l'époque où il était persécuté par Saiïl, emmena son père et sa mère à Maspha de Moab, et les mit sous la protection du roi des Moabites. Selon Budde, dans la Zeitschrift der alttestamentl. Wissenschaft, 1892, p. 37-46, l’histoire de Ruth aurait formé, à l’origine, une partie du « Midrasch du livre des Rois » mentionné II Par., xxiv, 27 (la Vulgate a traduit inexactement ce passage). Voir aussi Wildeboer, Die Litteratur des A. Testam., p. 342. C’est Bertholdl, Einleitung insâmmtliçhe… Schriften des Alt. und N. Testant., 18121819, 5e partie, p. 2337-2353, qui a essayé le premier de démontrer que le livre de Ruth ne serait qu' « une histoire inventée », « un simple poème », un a tableau de famille tout romantique ». Ses arguments se ramènent à six principaux, que répètent à l’envi, depuis bientôt un siècle, les interprètes rationalistes. — 1° Les noms des personnages du livre auraient tous une signification symbolique, en harmonie avec le rôle et Ja situation de ceux qui les portaient ; ce qui suffirait, nous dit-on, pour démontrer le caractère fictif du récit. E. Reuss, La Bible, t. , p. 20, répond très justement que cette objection « repose sur des étymologies forcées ou purement gratuites. » En effet, on n’a pas encore réussi à s’entendre sur le sens véritable des noms de Ruth et de Booz ; Élimélech, c’est-à-dire « mon Dieu (est) roi », n’a rien de particulier pour l’histoire de Ruth ; Afâklonpeut désigner aussi bien la « perfection » que la ce langueur » maladive, et il en est de même de Kilyion ; 'Orfàh, que l’on prétend avoir été