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RUTH (LIVRE DE)


ainsi appelée parce qu’elle tourna le dos Çôrêf) à sa belle-mère, est plutôt un nom synonyme de « gazelle ». Voir Kœnig, Einleitung in das A. T., p. 287 ; Œttli, Die geschichll. Hagiographen, p. 215. — 2° Tous les caractères seraient trop parfaits pour correspondre à la réalité. Ils sont admirables, il est vrai, mais simples e.tttanes towyswcs-, vie^i ue montre qu’ils aient été idéalisés le moins du monde. L’objection est donc entièrement gratuite. Orfâh, d’ailleurs, n’a pas été parfaite, quoiqu’on ne puisse lui faire un reproche d'être restée dans son pays. — 3° On a prétendu voir aussi dans le livre de Ruth des traces d'érudition scientifique, qui démontreraient qu’il est le fruit d’un travail de cabinet. Cf. Ewald, Geschichte des Volkes Israël, 3e édit., t. i, p. 236 ; Bertheau, Das Buch der Richter und Ruth, p. 236. Mais cette assertion porte à faux, car nulle part, dans le récit, on ne voit les marques d’une érudition proprement dite. Si l’auteur signale tel ou tel usage ancien, par exemple, iv, 7, s’il met sur les lèvres des notables un souhait qui rappelle l’histoire de Lia et de Rachel, rien ne dépasse en cela les limites de la connaissance d’un Israélite ordinaire. — 4° On a dit encore que cette idylle pacifique aurait été impossible à l'époque orageuse des Juges. Cf. Wellhausen, dans Bleek, Einleitung, 4 6 édit., p. 204 ; Nowack, Richter und Ruth, p. 181 ; Bertholet, Die fûnf Megilloth, p. 50. Mais le livre des Juges affirme en termes exprès, et à plusieurs reprises, Jud., iii, 11, 30, etc., que les périodes de paix et d’accalmie furent loin de manquer totalement pendant cette époque, et l’histoire de Rulh fut précisément une oasis de ce genre au milieu du tumulte des invasions étrangères. — 5° On a prétendu que l’auteur du livre ne connaissait plus le parent le plus rapproché de Noémi, et que, ne pouvant citer son nom, il fut forcé de le désignerparla vague formule peloni’almoni, « un certain », iv, 1. Celte circonstance fournirait la preuve que l’histoire entière a été inventée. Mais il faut remarquer qu’un temps assez long s'était écoulé entre les événements et la composition du livre. L’ignorance de l’auteur sur ce point secondaire, supposé qu’elle ait été réelle, n’a donc rien d'étonnant ; elle est une preuve de plus de sa sincérité, car un faussaire n’aurait nullement été embarrassé pour trouver un nom quelconque. — 6° Le mariage de Mahalon et de Chélion avec des femmes moabites aurait été contraire à la loi juive, et ce trait prouverait à lui seul le caractère purement idéal de l’histoire. À l’appui de cet argument, on allègue le texte Deut., xxiii, 3-4. Il est vrai que le droit de cité en Israël était à jamais interdit aux Moabites, à cause du mal qu’ils avaient fait aux Hébreux après leur sortie d’Egypte. Cf. Num., xxv, 1-5. Toutefois, l’interdiction faite par Moïse aux Israélites d'épouser des femmes étrangères ne concernait que les Chananéennes. Cf. Exod., xxxiv, 11-16 ; Deut., vi, 1-4. Plus tard, Esdras et Néhémie eurent de graves raisons de se montrer plus sévères, et d’interdire formellement à leur concitoyens de contracter des mariages avec les femmes de Moab. Cf. I Esd., ix, 1-2 ; II Esd., xiii, 23-29. Mais ces raisons n’existaient point à l'époque de Ruth.

VII. But du livre de Ruth. — Tout le monde est d’accord pour reconnaître que ce livre a été écrit dans un but spécial. Mais, ici encore, les néo-criliques ont émis beaucoup d’idées fausses. — 1° Les fausses tendances. — 1. Bertholdt, Einleitung, t. v, p. 2331-2335, disait que le but principal de l’auteur aurait été d'établir que le mariage du lévirat (voir Lévirat, t. iy, col. 213-216) ou son équivalent était stricteuent obligatoire, même à l'égard d’une parente issue d’une race étrangère. Voir aussi F. Benary, De Hebrseorum leviratu, Berlin, 1835, p. 30. Cette opinion a trouvé un certain nombre de partisans. Le D r H. A. Redpath, dans le Dict. of the Bible de Hastings, t. iv, p. 316, croit également que notre livre a été composé d’une manière

générale « pour servir d’illustration aux lois matrimoniales des Israélites. » Mais, quoique le récit roule tout entier autour du mariage de Ruth avec Booz, il ne met en saillie aucune tendance de ce genre. La question de la parenté des deux conjoints y est tout à fait secondaire. S’il avait eu en vue le lévirat, l’auteur aurait vraisemblablement rappelé la loi de Deut., xxv, 5-10, dans le cours de sa narration. — 2. Selon Kuenen, Introd. histor. et critique, trad. franc, § 96, notes 9 "et 10, et Godsdienst, t. ii, p. 148-149 ; A. Geiger, Urschrifl und Uebersetzung, p. 49-55, Wildeboer, Litteratur des A. Test., § 21, n. 10 ; Kautzsch, Abriss der Geschichte des alttestam. Schriftums, p. 115-116 ; Nowack, Richter und Ruth, p. 181-185 ; Bertholet, Die fûnf Megilloth, p. 51-54, etc., l’auteur du livre, opposé en principe aux mesures de rigueur prises par Esdras et Néhémie contre les mariages que des Juifs nombreux avaient contractés avec des femmes de nationalité païenne, aurait composé cette histoire en guise de protestation. Dans son petit livre, il indiquerait, nous dit-on, que parfois une femme étrangère était digne d'être incorporée au peuple de Jéhovah, et même d’y occuper une place d’honneur. Mais, s’il y a quelque chose d’inventé ici, c’est bien cette tendance prétendue. Si elle avait existé réellement, il aurait été beaucoup plus simple et plus naturel d’opposer à Esdras et à Néhémie, non pas le mariage mixte d’un Israélite peu connu, tel qu'était Booz, mais celui de David lui-même. Cf. I Par., iii, 2. D’ailleurs, il est probable que Booz n’aurait pas songé à épouser Ruth, si celle-ci ne se fût mise sous sa protection en qualité de parente. Ajoutons avec le D r Strack, Einleitung in das A, Test., Munich, 1895, 4e édit., p. 137, qu' « un livre d’une époque si tardive et ayant une telle tendance n’aurait jamais pu devenir canonique. » — 3. Le but de l’auteur aurait été entièrement politique, d’après la thèse assez étrange de E. Reuss, Gesch. des Alt. Testam., ^' édit., p. 292-298 ; La Bible, t. vii, p. 24-27. Écrit après la ruine du royaume des dix tribus schismatiques, le livre voulait démontrer, sous la forme d’un gracieux roman, à ceux des habitants |ui n’avaient pas été déportés dans les provinces, assyriennes, que les rois issus de David n'étaient pas seulement les héritiers du patriarche Juda par l’intermédiaire de Booz, mais qu’ils avaient aussi des droits très réels sur le territoire d'Éphraïm et de tout le royaume du nord, grâce à Obed, fils légal de « l'Éphraïmite » Mahalon ; d’où il suit que les sujets du royaume du nord devaient se rallier aux descendants légitimes de David. On le voit, l’argument principal, on plutôt l’argument unique de Reuss consiste à regarder le titre 'Éfrâti (Vulgate, Ephrathsei), attribué à Mahalon et à Chélion, Ruth, i, 2, comme synonyme d'Éphraïmite. Sans doute, ce mot a quelquefois cette signification, cf. Jud., xii, 5 ; I Reg., i, 1 ; III Reg., xi, £6 ; mais il ne l’a certainement pas dans le livre de Ruth, où il désigne manifestement les habitants de l’ancienne Éphrata, c’est-à-dire de Bethléhem. Voir ÉPHRATA, t. ir, col. 1882. La thèse est donc fausse par sa base ; aussi M. Reuss n’a-t-il convaicu personne.

2° Vrai but de l'écrivain sacré. — 1. Ce but se dégage très visiblement de l’ensemble du sujet traité, comme aussi de la liste généalogique qui termine l'écrit. Le livre de Ruth a été composé pour conserver le souvenir d’un touchant épisode qui intéressait la famille de David, et pour établir la série d’un certain nombre de ses ancêtres. En effet, les livres des Rois ne contiennent presque rien sur ces deux points, qui avaient acquis de l’importance lorsque la famille de David fut devenue famille royale. Cf. I Reg., xvi, 1-13, etc Celui de Ruth, au contraire, nous renseigne officiellement sur la généalogie du grand roi durant toute la période des Juges, puisque Salmon avait dû être contemporain de Josué, et il rattache David à