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Page:Dictionnaire de la langue française du seizième siècle-Huguet-Tome1.djvu/20

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vi
préface

pose, aucune explication, parce que je n’en ai pas trouvé une seule qui me parût satisfaisante. Peut-être d’autres chercheurs découvriront-ils, dans des ouvrages que je n’ai pas eu le temps de lire, le texte décisif qui m’a manqué.

Les mots qu’on trouvera dans ce dictionnaire sont d’abord ceux qui, employés au xvie siècle, ont cessé de l’être depuis. Ils sont très nombreux. Les uns appartenaient à notre vieux fonds français, soit venus régulièrement du latin populaire, soit empruntés de très bonne heure au latin ou à d’autres langues, et complètement amalgamés à notre vocabulaire le plus ancien. D’autres étaient entrés plus récemment dans notre langue, par un emprunt au latin, au grec, ou à diverses langues modernes. Ils étaient reconnaissables, souvent mal accueillis et repoussés comme des intrus. D’autres étaient nouveaux venus aussi, mais formés d’éléments français, de radicaux familiers, associés à des préfixes et à des suffixes usuels. Faciles à créer, faciles à comprendre, ils naissaient en foule, avec surabondance, et souvent deux, trois ou davantage servaient à exprimer une même idée.

Si beaucoup de nos vieux mots disparaissent, ce n’est pas sans laisser beaucoup de regrets. Ronsard et ses contemporains s’intéressent à eux, s’affligent de leur disparition et tâchent d’en sauver quelques-uns. Puisons dans nos vieux romans, dans nos vieux poèmes, dit Du Bellay l’antiquité des mots donne de la majesté au style[1]. Ne faisons conscience, dit Ronsard, de remettre en usage les antiques vocables[2]. Henri Estienne se plaît à étaler les abondantes ressources que nous offre le vieux langage[3]. Mais lorsqu’un mot a commencé à vieillir, il est bien difficile de lui rendre sa vigueur passée. Les écrivains qui s’intéressent à l’histoire de notre langue, comme Henri Estienne, Claude Fauchet, Étienne Pasquier, constatent souvent que tel ou tel mot d’autrefois s’emploie de plus en plus rarement, ou même est complètement abandonné, et parfois il y a une opposition apparente entre leurs constatations et les faits. Ainsi Du Bellay croit archaïser en employant isnel, et le mot, dans le sens de prompt, rapide, léger, se trouve chez Olivier de Magny, chez Baïf, Amadis Janin, Noël du Fail, Vauquelin de la Fresnaye. Ronsard voit un archaïsme dans hucher, appeler, que tout le monde emploiera encore

  1. « Uze de motz purement francoys, non toutesfois trop communs, non point aussi trop inusitez, si tu ne voulais quelquefois usurper, et quasi comme enchasser ains qu’une pierre precieuse et rare, quelques motz antiques en ton poeme… Pour ce faire, te faudroit voir tous ces vieux romans et poetes françoys, ou tu trouveras un ajourner pour faire jouranuyter pour faire nuytisnel pour leger, et mil’autres bons motz, que nous avons perduz par notre negligence. Ne doute point que le moderé usaage de teh vocables ne donne grande majesté tant au vers comme à la prose ainsi que font les reliques des sainctz aux croix et autres sacrez joyaux dediez aux temples. » Deffence et Illustration, II, 6.
    « J’ay usé de galées pour galleres : endementiers pour en ce pendant : isnel pour leger : carrolant pour dansant : et autres, dont l’antiquité… me semble donner quelque majesté au vers, principalement en un long poème, pourvu toutesfois que l’usage n’en soit immodéré. » Deux Livres de l’Eneide de Virgile, Epistre à J. de Morel.
  2. « Je t’advertis de ne faire conscience de remettre en usage les antiques vocables, et principalement ceux du langage Wallon et Picard, lequel nous reste par tant de siecles l’exemple naïf de la langue Françoise, j’entends de celle qui eut cours apres que la Latine n’eut plus d’usage en nostre Gaule, » Franciade, Préface de 1587. — Ronsard avait dit déjà dans son Art Poétique : « Tu ne dois rejetter les motz de noz vieux Romans, ains les choisir avecques meure et prudente election. »
  3. Précellence, p. 184 et suiv.