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préface

dit plus qu’inscrire : il signifie écrire au-dessous, à la fin. Dans un sens analogue, il s’employait souvent là où maintenant nous dirions signer.

L’usage des préfixes est un précieux moyen de tirer d’un radical un très grand nombre de significations, Aussi, en suivant l’évolution du sens des mots, voyons-nous cet usage soumis à des règles de plus en plus précises. La valeur des préfixes tend d’une manière continue à se mieux déterminer, et la confusion d’autrefois fait place a une répartition d’emplois qui est une des causes de la clarté du français moderne.

Le sujet ne change pas, il ne fait que s’élargir quand nous passons aux mots qui ont des radicaux différents. Là aussi nous voyons des mots qui autrefois ont été synonymes et qui ont fini par s’appliquer à des choses très diverses. La modification du sens des synonymes est un fait très important dans l’histoire de notre langue. Si deux mots ont exactement le même sens, nous éprouvons toujours le besoin de trouver une différence entre eux, et, comme elle n’existe pas, nous la créons. Les deux mots cessent de pouvoir s’employer indifféremment l’un pour l’autre et en viennent souvent à être séparés par une large distance. C’est ainsi que s’imposent à l’esprit des distinctions nouvelles, que l’on aperçoit des nuances longtemps indécises, que l’on analyse les idées avec une finesse minutieuse. L’étude de notre Langage abstrait est à ce point de vue extrêmement instructive. Mais, dans toutes les catégories de mots, on peut trouver de nombreux exemples. D’ailleurs, le travail inconscient de notre esprit s’accorde souvent avec les faits extérieurs qui rendent nécessaires ou du moins très utiles les distinctions qui se font entre des mots primitivement synonymes.

Dans la première moitié du xvie siècle, l’auteur d’un livre pouvait être appelé auteur, comme aujourd’hui. Il pouvait aussi s’appeler facteur, ce mot ayant été pris dans un sens général. Beaucoup plus tard même, saint François de Sales appelait encore Dieu facteur de toutes choses. Dieu était le facteur du monde, et Virgile le facteur de l’Énéide : Il n’est facteur qui sceust en prose ou rime Bien declarer la supernelle grace Que je viz lors en ceste belle face. Michel d’Amboise, Complaintes de l’Esclave fortuné, 33 vo. — Dieu est le facteur et pere de toutes choses. St  François de Sales, Amour de Dieu, IV, 8. — L’auteur d’un livre pouvait aussi s’appeler acteur : Je n’ay veu acteur quelconque qui en escrive aucune chose plus avant, sinon Ovide au quatrieme de sa Metamorphose. Lemaire de Belges, Illustr., I, 27. — Avant la fin du xvie siècle, l’usage avait déjà séparé les trois mots auteur, facteur et acteur.

Le mot physicien, avant que les progrès des sciences physiques eussent exigé sa spécialisation, avait été l’un des noms qui désignaient les médecins. Henri Estienne le considérait comme vieux en ce sens, mais Larivey l’employait encore : Le fisicien, ou medecin, par le moyen de ses sirops, pillules et medecines, guarit les corps des fiebvres et autres infirmitez. Larivet, le Fidelle, IV, 1.

Le statuaire s’appelait encore un tailleur, ou un tailleur d’images, bien que le mot statuaire fût depuis longtemps en usage : Phidias, bon et excellent tailleur. Ch. Fontaine, Fontaine d’Amour, Ép. 7. — Deux images d’Alexandre le Grand… l’une desquelles est de Praxitele, et l’autre de l’œuvre de Phidias, deux des plus excellens tailleurs d’images, qui ayent esté en l’antiquité. Thevet, Cosmogr., XVII, 6. — Henri Estienne considérait comme un néologisme l’emploi de tailleur pour couturier.

Compagnon s’employait dans le sens de collègue : les deux consuls étaient appelés