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/ il fallait des ministres de qualités identiques. La rigueur des pontifes à l’égard des Vestales allait même bien au delà de l’abstention charnelle. Tite-Live raconte le cas de la Vestale Postumia, accusée d’avoir violé son vœu, quoiqu’elle fût restée vierge, uniquement parce qu’elle s’était permis des artifices de toilette et des manières plus libres qu’il ne convenait à une Vestale. D’abord ajournée par le collège des pontifes, ensuite acquittée, elle fut mise en demeure de régler sa parure suivant la sainteté de son état, sans aucun raffinement de coquet- terie’. Il y a là une conception de la chasteté qui dépasse de beaucoup celle des foules ; elle a frappé les philosophes païens des derniers temps du paganisme -, et elle parait avoir eu son influence sur le développe- ment de l’ascétisme et du monachisme chrétiens. A Kome, dans le collège des Vestales, elle eut son application complète et parfaite jusqu’à la proscription totale de la religion traditionnelle.

Nous avons dit qu’au début la loi pourvoyait à cette chasteté en choisissant les futures Vestales parmi les petites filles d’un âge tendre, entre 6 et 10 ans, jamais au delà. Elle reste obligatoire pendant toute la période de la fonction sacrée, c’est-à-dire pendant trois décades, ce qui fixe le terme de la libération vers quarante ans ; les Vestales peuvent alors rentrer dans la vie commune et se mariera En réalité, de ce droit elles paraissent avoir très rarement usé, tant elles trouvaient de satis- faction dans les honneurs et les privilèges dont elles jouissaient, tant le titre de Vestale donnait de prestige devant l’opinion. A cette raison le plus récent historien de la chasteté cultuelle en a ajouté une autre : c’est que, passé quarante ans, la femme romaine est généralement fanée . Quoi qu’il en soit, on trouve des Vestales de l’âge le plus avancé, comme cette Occia dont parle Tacite, qui mourut après cinquante-sept ans de sacer- doce °. Son remplacement donna même lieu à une com- pétition entre deux familles des plus illustres, celles des Fonleius Agrippa et des Domitius PoUio ; Tibère consola la candidate évincée en lui constituant une dot. Une inscription mentionne une Vestale morte après soixante-quatre ans de présence au temple ’. Lorsque les Apologètes, pour les besoins de leur polémique, s’attachèrent à déprécier de préférence ce qui, dans les institutions païennes, était le plus recommandable, ils ne se firent pas faute, afin de mieux exalter la chasteté des vierges chrétiennes, de rabaisser celle des Vestales.’ Prudence plaisante, de façon assez lourde, sur la revan- clie qu’il est permis à ces dernières de prendre après la quarantaine’. Les mêmes polémiques se prolongèrent quelque temps encore après le triomphe du chrislia-

1 Til. Liv. IV, U, Il (il9 av .J.-C). Sur cctlc ciucslion de la loilelli ; riioileslo. V. les textes ciliSs par Fehric, p. 13, n° I ; DrageudorlV, Amtslrachl dur Vesla- linnen, Rhein. Mus. 1896, p. 281. — 2 V. Fclirle, Op. l. passim ; et ci-dessus le Icile de Cornutus. — 3 Ojon. Hal. II, 37, i ; Aulu Celle. Vil, 7, 4 : Si quadra- tfinla annos nala sacerdotio attire et niibcre voluissct^jus et potestasgtte exaui/ii- rnnrii nique niibendifacta est. l’OHT c mol sacerdolium, d. id. I,li, I ; cl l’inscr. peut ftrc apocryphe, Orclli, 2241. —t Fclirle, Op. t. p. il9. Voir entre autres les telles de Cic. Pro Font. 21, 46 : Hor. Od. I, 2, 27. — S Inc. Ann. Il, S«.

— 6 Corp. înscr. lai. VI, 2128. — T l’iud. In Sj/mmnch. Il, 1061 sq. — » Orelli, 1. p. 382 ; note à 2234. — 9 Felirle, Op. I. p. S7, a dit avec autant de justesse (|ue do vigueur : « C’est sur la foi dans l’ellicacité de la chasteté que repose la puissance (|ue l’on attribuail aux Vestales chez les Komains ; tous les autres motifs sont, dans l’opinion du peuple, à l’arrière-plan. » — to cic. Leg. II, 12. — il V. Thértenat, Le Forum Ilomain, Append. p. 383 sq., 1 ; p. 386, 2 ; p. 391, là et 16.

— 12 V. niiE», IV. 2, p. 682. Cf. Ov. Fasl. 111, Il sq., 45. — 13 M. S. Rcinach a ingéuicusoracutconjccturéroxisicnco de statues repriisentant Vcsia, déesse du foyer

nisme, généralement sans bonne foi : pn en trouve des traces dans les inscriptions *.

Que l’observation de ce vœu de chasteté ait été chose sérieuse, ce n’est pas seulement la loi qui le prouve, en édictant contre les Vestales qui l’oublieraient les plus terribles châtiments ; c’est surtout l’opinion publique qui était pour elle impitoyable. Cette rigueur procé- dait d’une croyance très vive à une sorte d’influence mystérieuse de la pureté des vierges saintes (Uçai TtapQév&t) sur le bien-être de l’État tout entier, et aussi à une action délétère, aux plus graves dangers pour lui, si les Vestales venaient à oublier le premier de leurs devoirs ’. Des motifs de nature plus subtile encore, et cependant accessibles à l’âme populaire, attachaient un prix éminent à la pratique de cette chasteté chez les ser- vantes de Vesta : « Que des vierges président à son culte,... afin que les femmes en général comprennent que le tempérament féminin est à la hauteur de la chasteté absolue ’". » Il ne faut donc pas s’étonner si les inscrip- tions, découvertes dans les ruines de la maison des Vestales, s’accordent à vanter par-dessus tout, avec la piété, l’observation rigoureuse du devoir de chasteté. Les épithètes données par les dédicants à celles qu’ils voulaient honorer sont, avec sanctissima, religiosis- sima, piissima, benignissima, celle de caslissima ; on les exalte ob meritum castitatis ; parce qu’elles furent purissimae castissimaeque ; parce qu’elles furent des modèles pudicitiae, castitatis^^.

Cependant, si attentifs que fussent les pontifes dans le choix des Vestales, il était inévitable qu’il se produi- sît des infractions au devoir de chasteté. La vieille légende même qui fit de Rhéa Silvia une Vestale, ce qui ne l’empêcha pas d’être mère par les œuvres de Mars, met la violation du vœu de chasteté au début même de l’histoire des Vestales’-. Il est vrai qu’Ovide, en racon- tant l’aventure, montre la statue de Vesta qui se voile la face avec ses mains et la flamme de l’autel ren- trant dans la cendre pour ne pas être souillée ’^ L’his- toire nous olfre donc un certain nombre de cas où des Vestales, ayant oublié leur devoir, eurent à subir le châ- timent édicté par laloi. En récapitulant, on en trouve de douze à vingt, suivant les statisticiens, à répartir sur dix siècles entiers. Au point de vue juridique, la faute était la plus grave variété de I’incestus ", parce qu’elle se compliquait d’imprétô et que par là même elle devait attirer tous les malheurs sur le corps social tout entier. Le tribunal qui jugeait était le collège des pontifes ’°. A l’origine la Vestale condamnée était par eux frappée de verges, jusqu’à ce que mort s’ensuivît "■’ ; à partir de Tarquin l’Ancien, ce supplice barbare et brutal fut rem-

ijui prott’ge ses yeux contre la fuinéL • Vcstae simulacra ferunlur Virginens oculis ojtposui.’ise manus {Ov. L. c. 4 :i) ; ce geste aurait été explitiué ensuite par la scène des amours 4le Khéa et de Honiulus. V. cette interprétation appliquée à une scène reproduite sur l’autel de Marvilly ; S. Reinach, R’r. arcliéologique, 1S97, II, p. 313 ; et Cultes, mythes et religions, t. III, p. 102 sq. ; surNutp. 198. Mais la démonslratioD, reposant sur un document unique et conjectural, a besoin d’ôlreétayéc encore. — ** V. t. III, 1, p. 456. — lôCf. l’reuuer, Heslia- Vesta, p. 316. En fait c’est le Pontifex Maximus qui détient la puissauec judiciaire ; cf. Cic. l/e har. resp. 1, 13 ; mais les autres pontifes sont appelés k la partager : T. Liv. IV, 44 ; Vlll, 15 ; Plin. Ep. IV, 11,7 ; Syramach. Ep. IX, 128, 129. Pour la flagellation, v. T. Liv. .., 57,3 (par le Grand Pontife) : id. Vlll, 15 (par tous les pontifes). Cf. Dion. Halic. Vlll, 89 ; 1.x, 40. Cf. Marquardt, Op. l. p. 341 sq. — «6 Id. p. 431 sq. Synimaque, /i>). IX, 128, a{q)elle l’inceste des Vestales : /acinus cunctis ad Imnc usque diem saeeulis sevenssime mmiicatum’, le même auteur, ibid. et 129, cite le dernier cas hislori- ijuemont connu ; c’est celui d’une Vestale d’AIbe, nommée Piiinigcnia, et de sou connjlicr Maximus, à Albe.