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CCCXXXIII
CINQUIÈME ÉPOQUE.

quand je voulus tourner dans la rue qui conduit au chemin de Laval, mes efforts furent inutiles, je ne pus y pénétrer : c’était là que la presse était plus grande, et que l’on s’étouffait. Des chariots, des canons étaient renversés ; les bœufs couchés par terre ne pouvaient pas se relever et frappaient à coups de pieds ceux qui étaient précipités sur eux. Un nombre infini de personnes foulées aux pieds criaient sans être entendues. Je mourais de faim, de frayeur ; je voyais à peine ; le jour finissait. Au coin de la rue, deux chevaux étaient attachés à une borne, et me barraient le chemin. La foule les repoussait sans cesse vers moi, et alors j’étais serrée entre eux et le mur : je m’efforçais de crier aux soldats de les prendre et de monter dessus ; ils ne m’entendaient pas. Je vis passer auprès de moi un jeune homme à cheval, d’une figure douce ; je lui pris la main : « Monsieur, lui dis-je, ayez pitié d’une pauvre femme grosse et malade ; je ne puis avancer. » Le jeune homme se mit à pleurer, et me répondit : « Je suis une femme aussi ; nous allons périr ensemble, car je ne puis pas non plus pénétrer dans la rue. » Nous restâmes toutes deux à attendre.

« Cependant le fidèle Bontemps, domestique de M. de Lescure, ne voyant pas qu’on s’occupât de ma fille, la chercha partout : il la trouva et la prit dans ses bras. Il me suivit, m’appercevant dans la foule, et élevant l’enfant, il me cria : « Je sauve l’enfant de mon maître !» Je baissai la tête, et je me résignai. Un instant après, je distinguai un autre de mes domestiques ; je l’appelai. Il prit mon cheval par la bride, et me faisant faire place avec son sabre, il me fit suivre la rue. Nous arrivâmes à grand’peine vers un petit pont, dans le faubourg, sur la route de Laval ; un canon y était renversé, et embarrassait le passage. Enfin, je me trouvai dans le chemin, et je m’arrêtai avec beaucoup d’autres. Quelques officiers étaient là, tâchant de ramener encore les soldats ; mais tous leurs efforts étaient inutiles.