Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/116

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Et je ne vois point en cela de prodige ; car toutes les fois que, sous l’autorité prétendue ou le bon plaisir des dieux, la superstition exige quelque action détestable ; si, malgré le voile sacré dont on l’enveloppe, le fidèle en pénètre l’énormité, de quel œil verra-t-il les objets de son culte[1] ? En portant au pied de leurs autels des offrandes que la crainte lui arrache, il les traitera dans le fond de son cœur comme des tyrans odieux et méchants ; mais c’est ce que sa religion lui défend expressément de penser. « Les dieux ne se contentent pas d’encens, lui crie-t-elle ; il faut que l’estime accompagne l’hommage. » Le voilà donc forcé d’aimer et d’admirer des êtres qui lui paraissent injustes : de respecter leurs commandements, d’accomplir en aveugle les crimes qu’ils ordonnent, et par conséquent de prendre pour saint et pour bon ce qui est en soi horrible et détestable.

Si Jupiter est le dieu qu’on adore, et si son histoire le représente d’un tempérament amoureux, et se livrant sans pudeur à toute l’étendue de ses désirs, il est constant qu’en prenant ce récit à la lettre, son adorateur doit regarder l’impudicité comme une vertu[2]. Si la superstition élève sur des autels un être vin-


    interpretem a Mureclo nostro. Insuper sanctum illiim, quem eo loco vidimus, publicitus opprime commendari, eum esse hominem sanctum, divinum ac integritale prœcipuum, eo quod nec fœminarum unquam esset nec puerorum, sed tantum-modo asellaram concubitor atque mularum. On peut voir encore, au sujet de cette espèce de saints, si fort respectés par les Turcs, ce qu’en a dit Pietro della Valle, dans une lettre du 25 janvier 1616. (Diderot.)

  1. Faites rougir ces dieux qui vous ont condamnée.
    Racine, Iphigénie, acte IV, scène iv. (Diderot.)
  2. Exprimer les sentiments et les mœurs d’un peuple dans sa conduite ordinaire et familière, c’est le propre de la comédie, et dans Térence surtout. Or, voici ce que ce poëte fait dire à un jeune libertin, qui se sert de l’exemple de ses dieux, pour justifier une vile métamorphose, et s’encourager à une action infâme :

    …………Dum apparatur, virgo in conclavi sedet,
    Suspectans tabulam quamdam pictam, ubi inerat pictura hæc ; Jovem
    Quo pacto Danaæ misisse, aiunt, quondam in gremium imbrem aureum
    Egomet quoquo id spectare cœpi : et quia consimilem luserat
    Jam olim ille ludum, impendio magis animus gaudebat mihi,
    Deum sese in hominem convertisse, atque per alienas tegulas
    Venisse clanculum per impluvium, fucum factum mulieri.
    At quem deum ! qui templa cœli summa soaitu concutit ;
    Ego homuncio hoc non facerem ? ego illud vero feci, ac lubens *.

    Terent. Eunuchus, act. III, scen. vi.

    Et Pétrone, l’auteur de son temps qui connaissait le mieux les hommes, et qui en

    • Voici comment l’abbé Le Monnier, dans son Théâtre des Latins, a traduit ce passage