Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/118

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Mais persévérant dans sa crédulité, et répétant ses pieux exercices, se familiarise-t-il à la longue avec la méchanceté, la tyrannie, la rancune, la partialité, la bizarrerie de son Dieu ? Il se réconciliera proportionnellement avec les qualités qu’il abhorrait en lui ; et telle sera la force de cet exemple, qu’il en viendra jusqu’à regarder les actions les plus cruelles et les plus barbares, je ne dis pas comme bonnes et justes, mais comme grandes, nobles, divines, et dignes d’être imitées.

Celui qui admet un Dieu vrai, juste et bon, suppose une droiture et une injustice, un vrai et un faux, une bonté et une malice, indépendants de cet Être suprême, et par lesquels il juge qu’un Dieu doit être vrai, juste et bon ; car si ses décrets, ses actions ou ses lois constituaient la bonté, la justice et la vérité, assurer de Dieu qu’il est vrai, juste et bon, ce serait ne rien dire, puisque si cet être affirmait les deux parties d’une proposition contradictoire, elles seraient vraies l’une et l’autre ; si, sans raison, il condamnait une créature à souffrir pour le crime d’autrui ; ou s’il destinait, sans sujet et sans distinction, les uns à la peine et les autres aux plaisirs, tous ces jugements seraient équitables. En conséquence d’une telle supposition, assurer qu’une chose est vraie ou fausse, juste ou inique, bonne ou mauvaise, c’est dire des mots, et parler sans s’entendre.

D’où je conclus que rendre un culte sincère et réel à quelque Être suprême qu’on connaît pour injuste et méchant, c’est s’exposer à perdre tout sentiment d’équité, toute idée de justice, et toute notion de vérité. Le zèle doit, à la longue, supplanter la probité dans celui qui professe de bonne foi une religion dont les préceptes sont opposés aux principes fondamentaux de la morale.

Si la méchanceté reconnue d’un Etre suprême influe sur ses adorateurs, si elle déprave les affections, confond les idées de vérité, de justice, de bonté, et sape la distinction naturelle de la droiture et de l’injustice : rien au contraire n’est plus propre à modérer les passions, à rectifier les idées, et à fortifier l’amour de la justice et de la vérité, que la croyance d’un Dieu que son histoire représente en toute occasion comme un modèle de véracité, de justice et de bonté. La persuasion d’une Providence divine qui s’étend à tout et dont l’univers entier ressent constamment les effets, est un puissant aiguillon pour nous engager