Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/25

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NOTE 2.


Pour compléter autant que possible, sans entrer dans la reproduction de détails trop fragmentaires, le portrait de Diderot, nous croyons devoir donner ici le récit fait par Garat d’une entrevue qu’il eut, peut-être à la Chevrette, avec le philosophe et dont rit beaucoup celui-ci lorsqu’il le vit imprimé dans le Mercure (1779). Cette pièce a été publiée de nouveau en 1814 dans les Révélations indiscrètes du xviiie siècle, compilation curieuse d’Auguis, où se trouvent plusieurs morceaux, alors inédits, de Diderot.

« Il y a quelque temps qu’il m’a pris, comme à tant d’autres, le besoin de mettre du noir sur du blanc, ce qu’on appelle faire un livre. Je cherchai la solitude pour mieux recueillir et méditer toutes mes rêveries. Un ami me prêta un appartement dans une maison charmante et dans une campagne qui pouvait rendre poëte ou philosophe celui qui était fait pour en sentir les beautés. À peine j’y suis que j’apprends que M. Diderot couche à côté de moi, dans un appartement de la même maison. Je n’exagère rien, le cœur me battit avec violence, et j’oubliai tous mes projets de prose et de vers pour ne songer plus qu’à voir le grand homme dont j’avais tant de fois admiré le génie. J’entre, avec le jour, dans son appartement, et il ne paraît pas plus surpris de me voir que de revoir le jour. Il m’épargne la peine de lui balbutier gauchement le motif de ma visite. Il le devine apparemment au grand air d’admiration dont je devais être tout saisi. Il m’épargne également les longs détours d’une conversation qu’il fallait absolument amener aux vers et à la prose. À peine il en est question, il se lève, ses yeux se fixent sur moi, et il est très clair qu’il ne me voit plus du tout. Il commence à parler, mais d’abord si bas et si vite, que, quoique je sois auprès de lui, quoique je le touche, j’ai peine à l’entendre et à le suivre. Je vois dans l’instant que tout mon rôle dans cette scène doit se borner à l’admirer en silence : et ce parti ne me coûte pas à prendre. Peu à peu sa voix s’élève et devient distincte et sonore ; il était d’abord presque immobile ; ses gestes deviennent fréquents et animés. Il ne m’a jamais vu que dans ce moment ; et lorsque nous sommes debout, il m’environne de ses bras ; lorsque nous sommes assis, il frappe sur ma cuisse comme si elle était à lui. Si les liaisons rapides et légères de son discours amènent le mot de lois, il me fait un plan de législation ; si elles amènent le mot théâtre, il me donne à choisir entre cinq ou six plans de drames et de tragédies. À propos des tableaux qu’il est nécessaire de mettre sur le théâtre, où l’on doit voir des scènes et non pas entendre des dialogues, il se rappelle que Tacite est le plus grand peintre de l’antiquité et il me récite ou me traduit les Annales et les Histoires. Mais combien il est affreux que les barbares aient enseveli sous les ruines des chefs-d’œuvre de l’architecture un si grand nombre