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XLVIII


Quand on suit une mauvaise route, plus on marche vite, plus on s’égare. Et le moyen de revenir sur ses pas, quand on a parcouru un espace immense ? L’épuisement des forces ne le permet pas ; la vanité s’y oppose sans qu’on s’en aperçoive ; l’entêtement des principes répand sur tout ce qui environne un prestige qui défigure les objets. On ne les voit plus comme ils sont, mais comme il conviendrait qu’ils fussent. Au lieu de réformer ses notions sur les êtres, il semble qu’on prenne à tâche de modeler les êtres sur ses notions. Entre tous les philosophes, il n’y en a point en qui cette fureur domine plus évidemment que dans les méthodistes. Aussitôt qu’un méthodiste a mis dans son système l’homme à la tête des quadrupèdes, il ne l’aperçoit plus dans la nature que comme un animal à quatre pieds. C’est en vain que la raison sublime dont il est doué se récrie contre la dénomination d’animal et que son organisation contredit celle de quadrupède ; c’est en vain que la nature a tourné ses regards vers le ciel : la prévention systématique lui courbe le corps vers la terre. La raison n’est, suivant elle, qu’un instinct plus parfait ; elle croit sérieusement que ce n’est que par défaut d’habitude que l’homme perd l’usage de ses jambes quand il s’avise de transformer ses mains en deux pieds.


XLIX.


Mais c’est une chose trop singulière que la dialectique de quelques méthodistes, pour n’en pas donner un échantillon. L’homme, dit Linnæus[1], n’est ni une pierre, ni une plante ; c’est donc un animal. Il n’a pas un seul pied ; ce n’est donc pas un ver. Ce n’est pas un insecte puisqu’il n’a point d’antennes. Il n’a point de nageoires ; ce n’est donc pas un poisson. Ce n’est pas un oiseau, puisqu’il n’a point de plumes. Qu’est-ce donc que l’homme ? il a la bouche du quadrupède. Il a quatre pieds ; les deux de devant lui servent à l’attouchement, les deux de

  1. Fauna Suecica, præf., édition de Stockholm, 1746 ; in-8o. Il y a des exemplaires avec des titres datés de Leyde (Lugd.-Batavorum). (Br.)