Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/96

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puisque les actions auxquelles on donne le nom de justes, varient selon les pays ; et que ce qui est juste dans l’un, est injuste dans l’autre. La justice ne peut donc être autre chose que l’observation des lois.

le sage.

Que croyez-vous des peines et des récompenses éternelles ?

le prosélyte.

Peines éternelles ? Dieu clément !

le sage.

Croyez-vous que l’espérance des biens futurs ne vaut pas le moindre des plaisirs présents ?

le prosélyte.

L’espérance, qu’elle soit bien ou mal fondée, est toujours un bien réel ; et un dévot musulman, dans l’espérance des célestes houris qu’il ne possédera jamais, peut avoir plus de plaisir qu’un sultan dans la jouissance de tout son sérail.

le sage.

Croyez-vous que la charité bien ordonnée est de faire son bien à quelque prix que ce puisse être ?

le prosélyte.

Je crois que c’est l’opinion de ceux qui, sous le prétexte de leur salut, désertent la société à laquelle ils devraient tous leurs services, et qui, pour gagner le ciel, se rendent inutiles à la terre.

le sage.

Renoncez-vous au fanatisme de la continence[1], de la pénitence et de la mortification ?

le prosélyte.

Oh ! de tout mon cœur.

le sage.

Renoncez-vous à la bassesse de l’humilité et du pardon des offenses ?

le prosélyte.

L’humilité est mensonge ; où est celui qui se méprise lui-même ? Et si cet homme existe, malheur à lui ! Il faut s’estimer pour être estimable. Quant au pardon des offenses, il est d’une

  1. Il faut avoir soin de distinguer la chasteté de la continence. La continence est un vice, puisqu’elle va contre les intentions de la nature ; la chasteté est l’abstinence des plaisirs de l’amour, hors des cas légitimes. (Diderot.)