Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, III.djvu/529

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Il faut qu’une nation soit bien nombreuse et bien riche pour qu’il y ait, sans conséquence fâcheuse, beaucoup de ces individus qui pensent tandis que les autres travaillent.

Il faut que cette classe de paresseux soit bien nombreuse et que les sciences aient déjà fait de grands progrès chez une nation pour y donner naissance aux académies.

Qu’est-ce qu’une académie ? Un corps de savants qui se forme de lui-même, ainsi que la société des hommes s’est formée, celle-ci pour lutter avec plus d’avantage contre la nature, celui-là par le même instinct ou le même besoin : la supériorité avouée des efforts réunis contre l’ignorance.

À son origine, l’une et l’autre association n’a ni code ni lois. Celle des savants subsiste sous une espèce d’anarchie jusqu’à ce qu’un souverain qui en a pressenti l’utilité, la protège, la stipendie et s’en fasse législateur.

Appeler des étrangers pour former une académie de savants, c’est négliger la culture de sa terre et acheter des grains chez ses voisins. Cultivez vos champs et vous aurez des grains.

Une académie ou un corps de savants ne doit être que le produit des lumières poussées jusqu’à un certain degré de perfection et très-généralement répandues ; sans cela, stipendiée par l’État, elle lui coûte beaucoup, ne subsiste que par des recrues et ne rend aucun fruit. Elle publie de beaux recueils que personne n’achète et ne lit, parce que personne ne les entend ; de ces recueils il en passe au loin quelques exemplaires qui ne compensent pas les dépenses, et la nation reste au même point d’ignorance ou d’instruction.

Il n’en est pas ainsi de l’instruction publique ; embrassant toutes les conditions d’un empire, répandant la lumière de toute part, son dernier effet est la formation des académies qui durent, renouvelées sans cesse par le fonds national.

Fonder une académie avant que d’avoir pourvu à l’éducation publique, c’est vraiment avoir commencé son édifice par le faîte.

Tout bien considéré, l’état de savant est doux ; on s’y portera naturellement partout où la science sera un peu récompensée et fort honorée.

Les maisons d’éducation publique doivent faire les progrès de la population ; la multitude de ces établissements serait une espèce de calamité. Peu de collèges, mais bons.