Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/354

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— Et comment vous y prîtes-vous ? demanda Mirzoza.

— Madame, vous l’allez savoir, » répondit Mangogul.

Et Sélim continua :

« Je vous ai dit, madame, que je voyais Cydalise tous les jours : d’abord je la vis moins souvent ; mes visites devinrent encore plus rares, enfin, je ne la vis presque plus. S’il m’arrivait de l’entretenir tête à tête quelquefois par hasard, je lui parlais aussi peu d’amour que si je n’en eusse jamais ressenti la moindre étincelle. Ce changement l’étonna, elle me soupçonna de quelque engagement secret ; et un jour que je lui faisais l’histoire galante de la cour :

« Sélim, me dit-elle d’un air distrait, vous ne m’apprenez rien de vous-même ; vous racontez à ravir les bonnes fortunes d’autrui, mais vous êtes fort discret sur les vôtres.

« — Madame, lui répondis-je, c’est qu’apparemment je n’en ai point, ou que je crois qu’il est à propos de les taire. »

« — Oh ! oui, m’interrompit-elle, c’est fort à propos que vous me celez aujourd’hui des choses que toute la terre saura demain.

« — À la bonne heure, madame, lui répliquai-je ; mais personne au moins ne les tiendra de moi.

« — En vérité, reprit-elle, vous êtes merveilleux avec vos réserves ; et qui est-ce qui ignore que vous en voulez à la blonde Misis, à la petite Zibeline, à la brune Séphéra ?

« — À qui vous voudrez encore, madame, ajoutai-je froidement.

« — Vraiment, reprit-elle, je croirais volontiers que ce ne sont pas les seules : depuis deux mois qu’on ne vous voit que par grâce, vous n’êtes pas resté dans l’inaction ; et l’on va vite avec ces dames-là.

« — Moi, rester dans l’inaction ! lui répondis-je ; j’en serais au désespoir. Mon cœur est fait pour aimer, et même un peu pour l’être ; et je vous avouerai même qu’il l’est ; mais ne m’en demandez pas davantage, peut-être en ai-je déjà trop dit.

« — Sélim, reprit-elle sérieusement, je n’ai point de secret pour vous, et vous n’en aurez point pour moi, s’il vous plaît. Où en êtes-vous ?

« — Presque à la fin du roman.