Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/375

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— Vous voilà toute désorientée, reprit Mangogul, et vous ne savez plus où donner de la tête.

— Ce n’est pas cela, répondit la favorite ; mais je vous avoue que je comptais beaucoup sur Églé.

— Il n’y faut plus penser, ajouta Mangogul ; dites-nous seulement si c’était la seule femme sage que vous connussiez ?

— Non, prince ; il y en a cent autres, et des femmes aimables que je vais vous nommer, repartit Mirzoza. Je vous réponds comme de moi-même, de… de… »

Mirzoza s’arrêta tout court, sans avoir articulé le nom d’une seule. Sélim ne put s’empêcher de sourire, et le sultan d’éclater de l’embarras de la favorite, qui connaissait tant de femmes sages, et qui ne s’en rappelait aucune.

Mirzoza piquée se tourna du côté de Sélim, et lui dit : « Mais, Sélim, aidez-moi donc, vous qui vous y connaissez. Prince, ajouta-t-elle en portant la parole au sultan, adressez-vous à… Qui dirai-je ? Sélim, aidez-moi donc.

— À Mirzoza, continua Sélim.

— Vous me faites très-mal votre cour, reprit la favorite. Je ne crains pas l’épreuve ; mais je l’ai en aversion. Nommez-en vite une autre, si vous voulez que je vous pardonne.

— On pourrait, dit Sélim, voir si Zaïde a trouvé la réalité de l’amant idéal qu’elle s’est figuré, et auquel elle comparait jadis tous ceux qui lui faisaient la cour.

— Zaïde ? reprit Mangogul ; je vous avoue que cette femme est assez propre à me faire perdre.

— C’est, ajouta la favorite, peut-être la seule dont la prude Arsinoé et le fat Jonéki aient épargné la réputation.

— Cela est fort, dit Mangogul ; mais l’essai de ma bague vaut encore mieux. Allons droit à son bijou :


Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas.


— Comment ! ajouta la favorite en riant, vous possédez votre Racine comme un acteur. »