Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/63

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chaque particulier, notion qu’on ne saurait guère contredire en Angleterre, sans être l’hérétique le plus maudit, n’est, après tout, qu’une idée métaphysique dont on ne retrouvera la source dans aucune transaction réelle, soit en Angleterre, soit ailleurs. L’histoire et l’observation nous apprennent que le nombre de ceux qui veillent actuellement à l’exécution de ce prétendu contrat, de cet accord imaginé sur la formation des lois, quoique plus considérable dans un état que dans un autre, est toujours très-petit en comparaison du nombre de ceux qui sont obligés à l’observation des lois, sans avoir jamais été ni appelés, ni consultés, soit avant, soit après qu’elles ont été rédigées. C’est dommage que l’habile auteur de l’ouvrage en question n’ait pas pris le revers de sa méthode, et tenté, d’après une recherche sur l’origine actuelle et réelle des différents gouvernements et de leurs différentes lois, d’en tirer quelque principe général de réformation ou d’institution. Son succès en aurait peut-être été plus assuré ; et il se serait à coup sûr garanti de ces ambiguïtés, pour ne pas dire contradictions, où s’embarrassera toujours l’auteur d’un système qui n’aura pas été pris dans la nature. Celui-ci, par exemple, avoue que chaque homme, en contribuant à sa caisse imaginaire, n’y met que la plus petite portion possible de sa propre liberté, et qu’il serait sans cesse disposé à reprendre cette quote-part, sans la menace ou l’action d’une force toujours prête à l’en empêcher. La force doit donc être reconnue au moins comme le lien de ce contrat volontaire. Et certainement, si, pour quelque cause que ce fût, un homme se laissait pendre sans y être contraint, il différerait peu ou point du tout d’un homme qui, dans les mêmes circonstances, se pendrait de lui-même ; sorte de conduite qu’aucun principe de morale politique n’a encore entrepris de justifier. Dans un autre endroit, il reconnaît que les sujets n’auraient point accédé à de pareils contrats, s’ils n’y avaient été contraints par la nécessité, expression obscure et susceptible de plusieurs sens, entre lesquels il est incertain que celui de l’auteur soit que ces contrats ont été volontaires, et que les hommes y ont été amenés par le besoin ou la nécessité. Cela n’est point suffisamment expliqué. Lorsqu’au milieu des difficultés et des imperfections sans nombre d’une langue quelle qu’elle soit, un auteur négligera de fixer par des exemples la signification de ses mots, il aura bien de la peine à