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SUR DEUX MÉMOIRES DE D’ALEMBERT.

traire à la pratique constante des joueurs et des commerçants.

Ceux qui font fortune au jeu et dans les affaires, n’ont d’autre supériorité sur les autres que de discerner une petite probabilité et que de l’ôter à leurs concurrents. A la longue, ceux qui négligent les petits avantages se ruinent.

C’est qu’il n’y a point de petit avantage quand il se réitère ; c’est qu’il n’y a probabilité si petite qui n’ait son effet avec le temps ; c’est que, dans tout jeu, peut-être faudrait-il s’assujettir à un certain nombre de coups et accroître les mises selon une certaine loi ; c’est qu’il faut que cette observation ne soit pas sans fondement, puisque bien des joueurs ne jouent point contre un homme qui n’a qu’Un coup à jouer et que d’autres augmentent leurs mises à mesure qu’ils perdent.

M. d’Alembert veut-il dire qu’il est prudent de ne pas hasarder une grosse somme à un jeu où la probabilité est très-petite, quel que soit le gain proposé ? Je suis de son avis ; mais qu’est-ce que cela fait à l’analyse des jeux de hasard ?

Il ajoute qu’à croix on pile, qu’à pair ou non, qu’aux dés, les coups qui ont précédé font quelque chose au coup qui va suivre. Si je juge cette proposition sans aucun égard à quelque cause physique secrète qui détermine un événement à avoir lieu plutôt qu’un autre, je n’y trouve pas de sens.

Il n’en est pas de ces deux coups, ainsi que de deux hommes qui ont à passer une forêt où ils doivent essuyer un certain nombre de coups de fusil, mais à la condition que si le premier qui passera est tué, le second ou ne passera point ou passera sans péril, et que si le premier n’est pas tué, le second passera et courra le même péril que son prédécesseur ; il est sûr que l’un de ces hommes ferait à l’autre un bon parti pour passer le premier.

Finissons ces observations sur quelques exemples d’hommes qui ne sont pas trop rares. Ce sont des gens sages qui échouent toujours, et des fous qui réussissent constamment. Il faut souhaiter que les derniers meurent promptement et que les premiers vivent longtemps, afin que la chance de ce mauvais jeu qu’on appelle la vie, et qu’on nous a fait jouer malgré nous, change pour les premiers et n’ait pas le temps de changer pour les seconds. Si un homme ivre se promène longtemps sur le bord d’un précipice, il faut qu’il y tombe.