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SUR LES PROBABILITÉS.

elle sera contestable… Cela est vrai ; et la raison que M. d’Alembert n’a pas vue, c’est qu’il n’y a et qu’il ne peut y avoir aucun jeu où des causes physiques n’introduisent une inégalité secrète inappréciable. On croit en jouant avec un dé à six faces, jouer un jeu à six chances égales, ce qui est faux : il faudrait que le centre de gravité fût rigoureusement au centre de la masse, ce qui est impossible dans un instant ; ce qui serait possible dans un instant et cesserait d’avoir lieu dans l’instant suivant.

Un seul clé donne au moins six chances inégales. De là cette distinction que l’expérience marque entre un cas et un autre.

On a beau remuer le cornet, les dés ne s’y meuvent point ni sur la table du trictrac comme s’ils étaient parfaits. La cause physique a son effet ; de là les cartes voûtées, les coups voûtés et tant d’observations fines des joueurs de profession.

Or, l’effet des causes physiques change perpétuellement. Tantôt elles tendent à amener un même événement plusieurs fois de suite, tantôt un autre événement, mais aussi plusieurs fois de suite.

M. d’Alembert répond à l’ingénieuse solution de M. Fontaine, qu’il faudrait, pour que Pierre rattrapât sa mise, que croix n’arrivât qu’au septième coup et qu’il y a 127 à parier contre 1 qu’il arrivera plus tôt ; mais qu’importe, si un seul coup peut valoir à Pierre 127 fois sa mise et plus ?

Si un homme ne met pas 78 125 livres sur un billet de loterie qui peut valoir 10 millions, mais sur lequel il y a 127 à parier contre 1 qu’il ne vaudra rien, c’est qu’il y a des jeux qui ne sont point faits pour les hommes et des hommes qui ne sont point faits pour le jeu.

Les jeux auxquels les hommes risquent la moindre partie de leur bonheur ne sont pas faits pour eux.

Les rois et les hommes d’une fortune exorbitante ne sont pas faits pour le jeu.

Les rois ne risquent rien, et ceux qui jouent contre eux risquent tout.

Les hommes qui jouissent d’une grande fortune peuvent la perdre contre un malheureux qui n’a qu’un écu dans sa poche.

M. d’Alembert dit que quand la probabilité d’un événement est fort petite il faut la traiter comme nulle. Cette proposition, avancée généralement, comme elle l’est, est fausse et con-