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SUR DEUX MÉMOIRES DE D’ALEMBERT.

l’intérêt public de l’intérêt particulier ; que pour la solution du problème il faudrait une méthode de bien connaître la probabilité de la vie, un moyen sûr de comparer le risque de mourir en un mois à l’espérance de vivre quelques années de plus, l’art d’apprécier les vies physiques ou réelles, civiles et moyennes, enfin de longues tables des mortalités de la petite vérole naturelle et de la petite vérole inoculée.

Il faut convenir que voilà bien de l’esprit, bien de la pénétration et bien du travail mal employés, car, tout considéré, si ce mémoire se lit, quel sera son effet sur un père déjà incertain, sinon de le faire vaciller encore davantage et de suspendre le crédit d’un grand remède, ce qui n’est pas d’un homme sage et bien intentionné ! Mais, laissons de côté l’honnêteté et ne considérons que la gloire. Croit-on que ce tissu de subtilités fût écouté patiemment à Constantinople, à Londres et à Pékin ? Y a-t-il dans ces trois grandes contrées une seule femmelette du peuple qui ne se mît à rire des efforts qu’un géomètre fait pour s’embarrasser dans de pareilles toiles d’araignée ? Et s’il arrive, dans la suite des temps, que l’inoculation soit en France aussi commune qu’en Chine, qu’en Angleterre, que diront nos petits-enfants, lorsqu’ils parcourront ces inepties ? Ils s’écrieront, dans ce cas, comme ils en auront l’occasion en une infinité d’autres : Le bien a donc beaucoup de peine à s’introduire dans le monde ! — Hélas ! oui.