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LETTRE
SUR
LES ATLANTIQUES ET L’ATLANTIDE[1]
1762

Je vais vous parler cette fois, mon ami, de ces temps innocents où le ciel était encore en commerce avec la terre, et ne dédaignait pas de visiter ses enfants ; de ces premiers et vénérables agriculteurs qui n’habitèrent presque jamais des villes, qui vécurent sous des tentes et dans les champs, qui eurent de nombreux troupeaux, une grande famille, un peuple de serviteurs ; qui épousaient quelquefois les deux sœurs ensemble, et faisaient des enfants à leurs servantes ; qui furent pâtres et rois, riches sans or, puissants sans possessions, heureux sans lois. Alors la pauvreté était le plus grand vice des hommes, et la fécondité, la vertu principale des femmes. De grandes richesses et beaucoup d’enfants étaient les marques d’une bénédiction spéciale de la Divinité, qui ne promit jamais à ses fidèles adorateurs que des biens temporels.

M. Baer, aumônier de la chapelle royale de Suède à Paris, prétend que les habitants de l’Atlantide et les patriarches sont les mêmes hommes. Cette idée lui est venue à la lecture du Timée et du Critias de Platon ; j’aime cet aumônier hérétique, puisqu’il lit le Timée et le Critias ; il n’y a pas un de nos prêtres catholiques qui sache ce que c’est.

  1. Cette lettre a paru pour la première fois dans la Correspondance inédite de Grimm, publiée par MM. Chéron et Thory en 1829. Elle y est divisée en deux parties sous ces dates : 15 octobre 1755 et 1er novembre 1762. Mais l’ouvrage de Baer : Essai historique et critique sur les Atlantiques, ne parut qu’en 1762, Paris, in-8°. C’est donc à cette époque qu’il faut placer cette lettre qui forme d’ailleurs un tout dans la copie que nous en possédons d’après le manuscrit de l’Ermitage. Cette copie présente quelques différences avec le texte imprimé.