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ÉLÉMENTS DE PHYSIOLOGIE.

aussi intimes, tout serait moi et je serais tout. Je tuerais avec aussi peu de scrupule que je m’arrache une épine du pied ou que je me coupe un cor qui me fait souffrir, mais heureusement le mal d’autrui n’est que songe, et il y a une grande différence entre la douleur que je vois et la douleur que je sens.

Toutes les fois que la sensation est violente ou que l’impression d’un objet est extrême et que nous sommes tout à cet objet, nous sentons, nous ne pensons pas.

C’est ainsi que nous sommes dans l’admiration, dans la tendresse, dans la colère, dans l’effroi, dans la douleur, dans le plaisir. Ni jugement, ni raisonnement quand la sensation est unique.

Les animaux dans lesquels un sens prédomine sentent fortement, raisonnent peu.

Les grandes passions sont muettes ; elles ne trouvent pas même d’expressions pour se rendre.

Est-ce qu’on pense quand on éjacule ? Est-ce qu’on pense quand on est vivement chatouillé ?

Est-ce qu’on pense quand on est vivement affecté par la poésie, la musique ou la peinture ?

Est-ce qu’on pense quand on voit son enfant en péril ?

Est-ce qu’on pense au milieu d’un combat ?

Combien de circonstances où si l’on vous demandait pourquoi n’avez-vous pas fait, pourquoi n’avez-vous pas dit cela ? vous répondriez : c’est que je n’y étais plus.

Les affections violentes secouent l’origine du faisceau, mais chaque brin oscille séparément.

Effet réciproque de la sensation sur les objets et des objets sur la sensation : je suis heureux, tout ce qui m’entoure s’embellit. Je souffre, tout ce qui m’entoure s’obscurcit. Mais ce phénomène n’a lieu que dans les plaisirs ou dans les peines modérées.

L’impression naît ou du dedans ou du dehors. Selon l’organe affecté l’impression est ou goût, ou odorat, ou vision, ou son, ou toucher ; l’affection est plus ou moins forte, plus ou moins durable.

De là, variété des peines et des plaisirs.

De là, ce qui est peine dans un instant devient plaisir dans un autre.

De là, ce qui est plaisir pour moi est peine pour vous.