Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/493

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Les folies de cet homme, les contes de l’abbé Galiani, les extravagances de Rabelais, m’ont quelquefois fait rêver profondément. Ce sont trois magasins où je me suis pourvu de masques ridicules que je place sur le visage des plus graves personnages, et je vois Pantalon dans un prélat, un satyre dans un président, un pourceau dans un cénobite, une autruche dans un ministre, une oie dans son premier commis.

moi.

Mais à votre compte, dis-je à mon homme, il y a bien des gueux dans ce monde-ci, et je ne connais personne qui ne sache quelques pas de votre danse.

lui.

Vous avez raison. Il n’y a dans tout un royaume qu’un homme qui marche, c’est le souverain ; tout le reste prend des positions.

moi.

Le souverain ? Encore y a-t-il quelque chose à dire. Et croyez-vous qu’il ne se trouve pas de temps en temps à côté de lui un petit pied, un petit chignon, un petit nez qui lui fasse faire un peu de pantomime ? Quiconque a besoin d’un autre est indigent et prend une position. Le roi prend une position devant sa maîtresse, et devant Dieu il fait son pas de pantomime. Le ministre fait le pas de courtisan, de flatteur, de valet et de gueux devant son roi. La foule des ambitieux danse vos positions, en cent manières plus viles les unes que les autres, devant le ministre. L’abbé de condition, en rabat et en manteau long au moins une fois la semaine, devant le dépositaire de la feuille des bénéfices. Ma foi, ce que vous appelez la pantomime des gueux est le grand branle de la terre ; chacun a sa petite Hus et son Bertin.

lui.

Cela me console.

Mais tandis que je parlais, il contrefaisait à mourir de rire les positions des personnages que je nommais. Par exemple, pour le petit abbé, il tenait son chapeau sous le bras et son bréviaire de la main gauche ; de la droite il relevait la queue de son manteau, il s’avançait la tête un peu penchée sur l’épaule, les yeux baissés, imitant si parfaitement l’hypocrite,