Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/87

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qui durait. Je ne sais combien je restai dans cet état, mais j’en fus tirée par une fraîcheur subite qui me causa une convulsion légère, et qui m’arracha un profond soupir. J’étais traversée d’eau ; elle coulait de mes vêtements à terre ; c’était celle d’un grand bénitier qu’on m’avait répandue sur le corps. J’étais couchée sur le côté, étendue dans cette eau, la tête appuyée contre le mur, la bouche entr’ouverte et les yeux à demi morts et fermés ; je cherchai à les ouvrir et à regarder ; mais il me sembla que j’étais enveloppée d’un air épais, à travers lequel je n’entrevoyais que des vêtements flottants, auxquels je cherchais à m’attacher sans le pouvoir. Je faisais effort du bras sur lequel je n’étais pas soutenue ; je voulais le lever, mais je le trouvais trop pesant ; mon extrême faiblesse diminua peu à peu ; je me soulevai ; je m’appuyais le dos contre le mur ; j’avais les deux mains dans l’eau, la tête penchée sur la poitrine ; et je poussais une plainte inarticulée, entrecoupée et pénible. Ces femmes me regardaient d’un air qui marquait la nécessité, l’inflexibilité et qui m’ôtait le courage de les implorer. La supérieure dit :

« Qu’on la mette debout. »

On me prit sous les bras, et l’on me releva. Elle ajouta :

« Puisqu’elle ne veut pas se recommander à Dieu, tant pis pour elle ; vous savez ce que vous avez à faire ; achevez. »

Je crus que ces cordes qu’on avait apportées étaient destinées à m’étrangler ; je les regardai, mes yeux se remplirent de larmes. Je demandai le crucifix à baiser, on me le refusa. Je demandai les cordes à baiser, on me les présenta. Je me penchai, je pris le scapulaire de la supérieure, et je le baisai ; je dis :

« Mon Dieu, ayez pitié de moi ! Mon Dieu, ayez pitié de moi ! Chères sœurs, tâchez de ne pas me faire souffrir. »

Et je présentai mon cou.

Je ne saurais vous dire ce que je devins, ni ce qu’on me fit : il est sûr que ceux qu’on mène au supplice, et je m’y croyais, sont morts avant que d’être exécutés. Je me trouvai sur la paillasse qui me servait de lit, les bras liés derrière le dos, assise, avec un grand christ de fer sur mes genoux…

… Monsieur le marquis, je vois d’ici tout le mal que je vous cause ; mais vous avez voulu savoir si je méritais un peu la compassion que j’attends de vous…

Ce fut alors que je sentis la supériorité de la religion chré-