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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/131

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Jacques.

Oh ! mon maître, la cruelle mémoire que vous avez !

Le maître.

Mon Jacques, mon petit Jacques…

Jacques.

De quoi riez-vous ?

Le maître.

De ce qui me fera rire plus d’une fois ; c’est de te voir dans ta jeunesse chez ton grand-père avec le bâillon.

Jacques.

Ma grand-mère me l’ôtait lorsqu’il n’y avait plus personne ; et lorsque mon grand-père s’en apercevait, il n’en était pas plus content ; il lui disait : Continuez, et cet enfant sera le plus effréné bavard qui ait encore existé. Sa prédiction s’est accomplie.

Le maître.

Allons, mon Jacques, mon petit Jacques, l’histoire du camarade de ton capitaine.

Jacques.

Je ne m’y refuserai pas ; mais vous ne la croirez point.

Le maître.

Elle est donc bien merveilleuse !

Jacques.

Non, c’est qu’elle est déjà arrivée à un autre, à un militaire français, appelé, je crois, M. de Guerchy[1].

Le maître.

Eh bien ! je dirai comme un poète français, qui avait fait une assez bonne épigramme, disait à quelqu’un qui se l’attribuait en sa présence : « Pourquoi monsieur ne l’aurait-il pas faite ? je l’ai bien faite, moi… » Pourquoi l’histoire de Jacques ne serait-elle pas arrivée au camarade de son capitaine, puisqu’elle est bien arrivée au militaire français de Guerchy ? Mais, en me la racontant, tu feras d’une pierre deux coups, tu m’apprendras l’aventure de ces deux personnages, car je l’ignore.

  1. Guerchy ou Guerchi (Claude-Louis de Regnier, comte de), officier de la cour de Louis XV, fit ses premières armes en Italie, servit avec distinction en Bohême et en Flandre, et mourut en 1768. (Br.)