Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/155

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conjurerai par ces intéressantes et dignes créatures qui vous sont si chères ; vous me connaissez, épargnez-leur toutes les folies dont je suis capable. J’irai chez elles ; oui, j’irai, je vous en préviens ; je forcerai leur porte, j’entrerai malgré elles, je m’asseyerai, je ne sais ce que je dirai, ce que je ferai ; car que n’avez vous point à craindre de l’état violent où je suis ?… »


Vous remarquerez, messieurs, dit l’hôtesse, que depuis le commencement de cette aventure jusqu’à ce moment, le marquis des Arcis n’avait pas dit un mot qui ne fût un coup de poignard dirigé au cœur de Mme  de La Pommeraye. Elle étouffait d’indignation et de rage ; aussi répondit-elle au marquis, d’une voix tremblante et entrecoupée :

Mais vous avez raison. Ah ! si j’avais été aimée comme cela, peut-être que… Passons là-dessus… Ce n’est pas pour vous que j’agirai, mais je me flatte du moins, monsieur le marquis, que vous me donnerez du temps.

Le marquis.

Le moins, le moins que je pourrai.

Jacques.

Ah ! notre hôtesse, quel diable de femme ! Lucifer n’est pas pire. J’en tremble : et il faut que je boive un coup pour me rassurer… Est ce que vous me laisserez boire tout seul ?

L’hôtesse.

Moi, je n’ai pas peur… Mme  de La Pommeraye disait : Je souffre, mais je ne souffre pas seule. Cruel homme ! j’ignore quelle sera la durée de mon tourment ; mais j’éterniserai le tien… Elle tint le marquis près d’un mois dans l’attente de l’entrevue qu’elle avait promise, c’est-à-dire qu’elle lui laissa tout le temps de pâtir, de se bien enivrer, et que sous prétexte d’adoucir la longueur du délai, elle lui permit de l’entretenir de sa passion.

Le maître.

Et de la fortifier en en parlant.

Jacques.

Quelle femme ! quel diable de femme ! Notre hôtesse, ma frayeur redouble.

L’hôtesse.

Le marquis venait donc tous les jours causer avec Mme  de La Pommeraye, qui achevait de l’irriter, de l’endurcir et de le