Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/269

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Jacques.

Si c’est votre avis, reprenez l’histoire du père ; mais plus de portraits, mon maître ; je hais les portraits à la mort.

Le maître.

Et pourquoi haïssez-vous les portraits ?

Jacques.

C’est qu’ils ressemblent si peu, que, si par hasard on vient à rencontrer les originaux, on ne les reconnaît pas. Racontez-moi les faits, rendez-moi fidèlement les propos, et je saurai bientôt à quel homme j’ai affaire. Un mot, un geste m’en ont quelquefois plus appris que le bavardage de toute une ville.

Le maître.

Un jour Desglands…

Jacques.

Quand vous êtes absent, j’entre quelquefois dans votre bibliothèque, je prends un livre, et c’est ordinairement un livre d’histoire.

Le maître.

Un jour Desglands…

Jacques.

Je lis du pouce tous les portraits.

Le maître.

Un jour Desglands…

Jacques.

Pardon, mon maître, la machine était montée, et il fallait qu’elle allât jusqu’à la fin.

Le maître.

Y est-elle ?

Jacques.

Elle y est.

Le maître.

Un jour Desglands invita à dîner la belle veuve avec quelques gentilshommes d’alentour. Le règne de Desglands était sur son déclin ; et parmi ses convives il y en avait un vers lequel son inconstance commençait à la pencher. Ils étaient à table, Desglands et son rival placés à côté l’un de l’autre et en face de la belle veuve. Desglands employait tout ce qu’il avait d’esprit pour animer la conversation ; il adressait à la veuve les propos les plus galants ; mais elle, distraite, n’entendait rien,