Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/271

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Desglands.

Cela se passera. »

Après un moment de conversation, Desglands sortit, et, en sortant, il fit à son rival un signe qui fut très bien entendu. Celui-ci descendit, ils passèrent, l’un par un des côtés de la rue, l’autre par le côté opposé ; ils se rencontrèrent derrière les jardins de la belle veuve, se battirent ; et le rival de Desglands demeura étendu sur la place, grièvement, mais non mortellement blessé. Tandis qu’on l’emporte chez lui, Desglands revient chez sa veuve, il s’assied, ils s’entretiennent encore de l’accident de la veille. Elle lui demande ce que signifie cette énorme et ridicule mouche qui lui couvre la joue. Il se lève, il se regarde au miroir. « En effet, lui dit-il, je la trouve un peu trop grande… » Il prend les ciseaux de la dame, il détache son rond de taffetas, le rétrécit tout autour d’une ligne ou deux, le replace et dit à la veuve : « Comment me trouvez-vous à présent ?

— Mais d’une ligne ou deux moins ridicule qu’auparavant.

— C’est toujours quelque chose. »

Le rival de Desglands guérit. Second duel où la victoire resta à Desglands : ainsi cinq ou six fois de suite ; et Desglands à chaque combat rétrécissant son rond de taffetas d’une petite lisière, et remettant le reste sur sa joue.

Jacques.

Quelle fut la fin de cette aventure ? Quand on me porta au château de Desglands, il me semble qu’il n’avait plus son rond noir.

Le maître.

Non. La fin de cette aventure fut celle de la belle veuve. Le long chagrin qu’elle en éprouva acheva de ruiner sa santé faible et chancelante.

Jacques.

Et Desglands ?

Le maître.

Un jour que nous nous promenions ensemble, il reçoit un billet, il l’ouvre, il dit : « C’était un très brave homme, mais je ne saurais m’affliger de sa mort… » Et à l’instant il arrache de sa joue le reste de son rond noir, presque réduit par ses fréquentes rognures à la grandeur d’une mouche ordinaire. Voilà