Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/463

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

MADAME BEVERLEY.

Que dit-il ?… Est-ce quelque bonne nouvelle ?… Je le souhaite du moins… Eh bien, mon ami ?

BEVERLEY.

C’en est trop, je n’y tiens plus. Il faut que je parle. (Il lit encore.)

Cependant il m’ordonne de vous cacher son état. Ecoutez.

« Hâtez-vous, mon ami. La seule marque d’amitié que vous puissiez me donner encore est de vous presser de venir. J’ai résolu depuis notre dernière entrevue de me sauver. Il vaut mieux que je quitte l’Angleterre que de devoir la liberté d’y vivre aux moyens vils dont nous avons parlé. Gardez-moi le secret, et venez embrasser votre ami ruiné. Stukely. »

Mon ami ruiné ! et ruiné par moi ! Il n’y a pas à balancer. Il faut le suivre ou le secourir.

MADAME BEVERLEY.

Le suivre ! Ah ! mon ami, qu’avez-vous dit ? que vais-je devenir ?

BEVERLEY.

Vice infernal ! que je suis malheureux ! que je suis vil ! Qu’as-tu fait de moi, jeu, manie terrible du jeu ? Cependant quelle comparaison de la plus faible de mes joies innocentes et domestiques, et des transports les plus violents d’un jour de fortune ! Avec quelle fureur ne les ai-je pas recherchés ! Aussi tout est anéanti. Plus de bonheur. Des transes mortelles ont succédé aux consolations les plus délicieuses de la vie, les larmes de l’amertume à celles de la tendresse. La tristesse sombre et morne s’est établie au fond de ce cœur pour tant qu’il battra. Je pleurerai sans cesse ; je ne sourirai plus. Jeu détestable, ivresse détestable, voilà tes suites !

MADAME BEVERLEY.

Mon ami, revenez à vous. Voyons quels sont les moyens dont il s’agit dans cette lettre. Sont-ils en votre pouvoir ? au mien ? dites ; soulagez-moi. Il est impossible que je vive si vous souffrez.

BEVERLEY.

Non, non, cela ne se peut. C’est moi seul qui ai fait la faute ; c’est à moi seul à en porter la peine. La mère et l’enfant n’ont