Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/500

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reviennent sur le passé auquel on ne peut rien, et tremblent sur l’avenir, au lieu de penser aux moyens d’en écarter le péril. Il faut réfléchir et marcher. Beverley n’en est encore qu’aux soupçons ; mais dans un instant il peut être éclairé par Leuson. Celui-ci me hait et a sur moi un ascendant auquel je ne saurais me soustraire que d’une manière.

BATES.

Et quelle ?

STUKELY.

S’en défaire… Tu t’effrayes… L’ami, aux grands maux de grands remèdes… Si tu veux vivre, il faut qu’il meure.

BATES.

Vous ne pensez pas sérieusement ce que vous me proposez.

STUKELY.

Tu te trompes.

BATES.

C’est votre dessein ?

STUKELY.

Ce l’est,

BATES.

Adieu donc ; bonsoir.

STUKELY.

Arrête ; il faut auparavant m’entendre et me répondre. Je t’ai mal présenté la chose. Nous sommes naturellement pusillanimes, et l’idée d’un meurtre nécessaire nous révolte. Mais écoute-moi ; je n’ai pas résolu celui-ci sans y avoir songé de sang-froid ; d’abord j’ai senti comme toi, j’ai frissonné, j’ai détourné mes regards ; la conscience a voulu parler ; mais sa voix a été interrompue par le cri de la nature. La nature me criait : Perds qui te veut perdre. La brute discerne d’instinct son ennemi, et le détruit sans balancer quand elle en a la force, et l’homme n’en pourra faire autant ! Un Leuson poursuivra notre perte ; nous pourrons l’écraser, et nous resterons oisifs ! Et nous nous laisserons percer par le chasseur, lorsqu’il dépendait de nous de le déchirer ! C’est une sottise. Est-ce que tu ne conçois pas cela ?

BATES.

Voilà qui est fort bien ; mais je lui ai des obligations ; et jamais je n’attenterai à la vie d’un bienfaiteur.