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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/247

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SALON DE 1765.

nivelle : on n’emprunte les béquilles de l’abbé Morellet que quand on manque de génie. »

Il est vrai que ma tête est lasse. Le fardeau que j’ai porté  pendant vingt ans m’a si bien courbé, que je désespère de me[1] redresser. Quoi qu’il en soit, rappelez-vous mon épigraphe :

         Non fumum ex fulgore, sed ex fumo dare lucem.

Laissez-moi fumer un moment, et puis nous verrons. Avant que d’entrer en chantier, il faut, mon ami, que je vous prévienne de ne pas regarder simplement comme mauvais les tableaux sur lesquels je glisserai. Tenez pour détestables, infâmes[2], les productions de Boizot, Nonnotte, Francisque, Antoine Lebel, Amand, Parrocel, Adam, Descamp, Deshays le jeune, et d’autres. N’exceptez d’Amand qu’un morceau médiocre, Argus et Mercure, qu’il a peint à Rome ; et de Deshays le jeune, qu’une ou deux têtes, que son fripon de frère lui a croquées pour le pousser à l’Académie.

Quand je relève les défauts d’une composition, entendez, si elle est mauvaise, qu’elle restera mauvaise, son défaut fût-il corrigé ; et quand elle est bonne, qu’elle serait parfaite, si l’on en corrigeait le défaut.

Nous avons perdu cette année deux grands peintres et deux habiles sculpteurs, Carle Van Loo et Deshays l’aîné, Bouchardon et Slodtz. En revanche, la mort nous a délivrés du plus cruel des amateurs, le comte de Caylus.

Nous n’avons pas été cette année aussi riches en grands tableaux qu’il y a deux ans ; mais en revanche, nous l’avons été davantage en petites compositions ; et ce qui console, c’est que quelques-uns de nos artistes ont montré des talents qui peuvent s’élever à tout. Et qui sait ce que deviendra La Grenée ? Je me trompe fort, ou l’école française, la seule qui subsiste, est encore loin de son déclin. Rassemblez, si vous pouvez, tous les ouvrages des peintres et des statuaires de l’Europe, et vous n’en formerez point notre Salon. Paris est la seule ville du monde où l’on puisse tous les deux ans jouir d’un spectacle pareil.

  1. L’Encyclopédie.
  2. Le mot « infâmes » n’est point à l’édition de l’an IV.