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PENSÉES DÉTACHÉES

pécherez pas en les portant à l’extrême, relativement au sujet de votre tableau ; alors toute votre scène sera aussi animée qu’elle peut et doit l’être.

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Je sais que l’art a ses règles qui tempèrent toutes les précédentes ; mais il est rare que le moral doive être sacrifié au technique. Ce n’est ni à Van Huysum ni à Chardin que je m’adresse ; dans la peinture de genre il faut tout immoler à l’effet.

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La peinture de genre n’est pas sans enthousiasme ; c’est qu’il y a deux sortes d’enthousiasme : l’enthousiasme d’âme et celui du métier. Sans l’un, le concept est froid ; sans l’autre, l’exécution est faible ; c’est leur union qui rend l’ouvrage sublime. Le grand paysagiste a son enthousiasme particulier ; c’est une espèce d’horreur sacrée. Ses antres sont ténébreux et profonds ; ses rochers escarpés menacent le ciel ; les torrents en descendent avec fracas, ils rompent au loin le silence auguste de ses forêts. L’homme passe à travers de la demeure des démons et des dieux. C’est là que l’amant a détourné sa bien-aimée, c’est là que son soupir n’est entendu que d’elle. C’est là que le philosophe, assis ou marchant à pas lents, s’enfonce en lui-même. Si j’arrête mon regard sur cette mystérieuse imitation de la nature, je frissonne.

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Si le peintre de ruines ne me ramène pas aux vicissitudes de la vie et à la vanité des travaux de l’homme, il n’a fait qu’un amas informe de pierres. Entendez-vous, monsieur Machy ?

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Il faut réunir à une imagination grande et forte un pinceau ferme, sûr et facile ; la tête de Deshays à la main de son beau-père[1].

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Toute composition digne d’éloge est en tout et partout d’ac-

  1. Boucher.