Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/281

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de trois coups d’épée, dont un pénétrait de trois doigts dans sa poitrine. L’officier dit à son colonel : « Monsieur le chevalier, vous marchez, ce me semble, très-fermement, et je crois que nous pourrions recommencer. — Très-volontiers », répondit le chevalier ; et voilà derechef les épées tirées. Celle de l’officier, dans le combat, s’embarrasse dans la manche du chevalier ; le chevalier la saisit, et, lui appuyant la pointe de la sienne sur la gorge, lui dit : « Je pourrais vous tuer ; mais je vous donne la vie que vous ne méritez pas. Allez, vous n’êtes qu’un lâche. »

Tous les honnêtes gens sont fâchés qu’il ne l’ait pas tué ; et il n’y a pas un d’eux qui ne fût fort vain d’avoir fait comme le chevalier. Est-ce sentiment de justice ? est-ce envie secrète ? Ma foi, je n’en sais rien.

C’est Suard qu’on a chargé de m’inviter à la partie d’Aubonne. J’ai profité de l’occasion que j’avais de lui écrire pour lui laver la tête d’importance. Vous savez ou vous ne savez pas qu’il avait eu l’indiscrétion de m’envoyer sous une enveloppe volante un livre anglais rempli de figures infâmes. J’ai tâché de lui faire comprendre les suites possibles de son action, la corruption de ma fille, et mon éternelle haine. Voilà nos gens qui portent dans leur poche la toise dont ils mesurent si strictement les ouvrages et les procédés ; et voilà un d’entre eux qui s’expose à faire sécher son ami de douleur, et qui fait ce qu’un freluquet de quinze ans, qui aurait eu à envoyer un pareil ouvrage rue Froidmanteau, à une catin, n’aurait pas fait, par respect pour lui-même.

Madame de Blacy, voilà une de vos affaires faite. Priez Dieu pour son succès. J’ai appris par l’abbé Le Monnier que M. Trouard partait samedi prochain pour Orléans, avec M. l’évêque d’Orléans ; et aussitôt je me suis mis à écrire à M. Trouard une lettre qu’il pût montrer à l’évêque. Je ne sais ce qu’elle produira ; mais je puis vous assurer qu’elle n’est pas plus mal que les placets.

Je ne sais si M. de Villeneuve est de retour d’Alsace : je le saurai demain ou après, et je l’aurai vu. Quoique vous ne parliez plus, je vous crois cependant toutes les trois vivantes. Maman, n’allez-vous pas trouver que mademoiselle fait bien de me laisser avec les incertitudes qu’elle m’a jetées sur sa santé ? Il faut avoir une belle habitude de gâter ses enfants.