Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVII.djvu/345

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tudes qu’ils devaient éprouver sur le sort d’un jeune homme violent et passionné, abandonné sans guide à tous les fâcheux hasards d’une capitale immense, le séjour du crime et des vices, sans avoir recueilli un instant de la douceur qu’ils auraient eu à le voir, à en entendre parler, lorsqu’il eut acquis par sa bonté naturelle et par l’usage de ses talents la considération dont il jouit : et souhaitez après cela d’être père ! J’ai fait le malheur de mon père, la douleur de ma mère tandis qu’ils ont vécu, et je suis un des enfants les mieux nés qu’on puisse se promettre ! Je me loue moi-même ; cependant je ne suis rien moins que vain, car une des choses qui m’aient fait le plus de plaisir, c’est le propos bourru que me tint un provincial quelques années après la mort de mon père. Je traversais une des rues de ma ville ; il m’arrêta par le bras et me dit : Monsieur Diderot, vous êtes bon ; mais si vous croyez que vous vaudrez jamais votre père, vous vous trompez. Je ne sais si les pères sont contents d’avoir des enfants qui vaillent mieux qu’eux, mais je le fus, moi, de m’entendre dire que mon père valait mieux que moi. Je crois et je croirai tant que je vivrai que ce provincial m’a dit vrai. Mes parents ont laissé après eux un fils aîné qu’on appelle Diderot le philosophe, c’est moi ; une fille qui a gardé le célibat, et un dernier enfant qui s’est fait ecclésiastique. C’est une bonne race. L’ecclésiastique est un homme singulier, mais ses défauts légers sont infiniment compensés par une charité illimitée qui l’appauvrit au milieu de l’aisance. J’aime ma sœur à la folie, moins parce qu’elle est ma sœur que par mon goût pour les choses excellentes. Combien j’en aurais à citer de beaux traits si je voulais ! Ses bonnes actions sont ignorées ; celles de l’abbé sont publiques… Et Bourbonne ? Et les bains ? Je n’y pensais plus. Occupé d’objets aussi doux que ceux qui m’occupent, le moyen d’y penser !… Je ne sais ce qui m’est arrivé ; mais je me sens un fond de tendresse infinie. Tout ce qui distrait mon cœur de sa pente actuelle m’est ingrat… De grâce, mes amis, encore un moment. Souffrez que je m’arrête et que je me livre encore un instant à la situation d’âme la plus délicieuse..... je ne sais ce que j’ai. Je ne sais ce que j’éprouve. Je voudrais pleurer… Ô mes parents, c’est sans doute un tendre souvenir de vous qui me touche ! Ô toi, qui réchauffais mes pieds froids dans tes mains ! Ô ma mère !… Que je suis triste !… Que je suis