Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/401

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est une chose mauvaise, la raison, qui nous soumet à ses travers, en est du moins une bonne. Continuez vos promenades au Palais-Royal ; dissipez cette chère sœur, dissipez-vous ; appelez-moi quelquefois sur le banc de l’allée d’Argenson, et dites à ceux qui l’occupent qu’il est à la chère maman, et qu’ils aient à décamper. Oui, ma Sophie, oui, nos promenades me paraîtront toujours délicieuses ; oui, nous les renouvellerons encore ; nous interrogerons nos âmes, et, contents ou mécontents de leur réponse, nous aurons du moins la conscience de n’avoir rien dissimulé. La vôtre est-elle toujours bien pure ? S’il y avait quelque chose là qu’il fallût vous pardonner, je le ferais sans doute ; mais il m’en coûterait beaucoup. Je suis si accoutumé à vous trouver innocente ! Voilà une phrase singulière ; mais d’où vient donc que les expressions les plus honnêtes sont presque devenues ridicules ? En vérité nous avons tout gâté, jusqu’à la langue, jusqu’aux mots. Il y a apparemment au milieu de la pièce une tache d’huile qui s’est tellement étendue qu’elle a gagné jusqu’à la lisière.

Me voici à cet arrêt du Conseil. Quels ennemis nous avons ! qu’ils sont constants ! qu’ils sont méchants ! En vérité, quand je compare nos amitiés à nos haines, je trouve que les premières sont minces, petites, fluettes ; nous savons haïr, mais nous ne savons pas aimer. C’est moi, moi, moi, ma Sophie, qui le dis. Cela serait-il donc bien vrai ? Quant au bruit que j’étais parti pour la Hollande, que David m’avait devancé, que nous allions y achever l’ouvrage, je m’y attendais. Doutez de tout ce qu’il vous plaira, mademoiselle la Pyrrhonienne, pourvu que vous en exceptiez les sentiments tendres que je vous ai voués : ils sont vrais comme le premier jour. Votre mot latin est bien plaisant ; il faut que j’aie l’esprit mal fait ; car j’entends malice à tout. J’ai tout reçu et à temps. Nous passons la journée ici ; nous l’avons commencée fort doucement, comme je vous ai dit. Demain, nous irons nous emmesser à Vitry, et passer le reste du jour dans l’habitation de la chère sœur. J’aime les lieux où ont été les personnes que je chéris ; j’aime à toucher ce qu’elles ont approché ; j’aime à respirer l’air qui les environnait ; seriez-vous jalouse même de l’air ? Vous me pardonnerez d’avoir omis une poste sans vous écrire ; et cela ne doit pas vous coûter beaucoup. Au reste, c’est comme de coutume, ce sont toujours