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autres hommes. L’affectation est donc souvent un terme relatif & de comparaison ; de maniere que ce qui est affectation dans une personne relativement à son caractere ou à sa maniere de vivre, ne l’est pas dans une autre personne d’un caractere différent ou opposé ; ainsi la douceur est souvent affectée dans un homme colere, la profusion dans un avare, &c.

La démarche d’un Maître à danser & de la plûpart de ceux qu’on appelle petits Maîtres, est une démarche affectée ; parce qu’elle differe de la démarche ordinaire des hommes, & qu’elle paroît recherchée dans ceux qui l’ont, quoique par la longue habitude elle leur soit devenue ordinaire & comme naturelle.

Des discours pleins de grandeur d’ame & de philosophie, sont affectation dans un homme qui, après avoir fait sa cour aux Grands, fait le Philosophe avec ses égaux. En effet rien n’est plus contraire aux maximes philosophiques, qu’une conduite dans laquelle on est souvent forcé d’en pratiquer de contraires.

Les grands complimenteurs sont ordinairement pleins d’affectation, sur-tout lorsque leurs complimens s’adressent à des gens médiocres ; tant parce qu’il n’est pas vraissemblable qu’ils pensent en effet tout le bien qu’ils en disent, que parce que leur visage dément souvent leurs discours ; de maniere qu’ils feroient très-bien de ne parler qu’avec un masque.

Affectation, s. f. dans le langage & dans la conversation, est un vice assez ordinaire aux gens qu’on appelle beaux parleurs. Il consiste à dire en termes bien recherchés, & quelquefois ridiculement choisis, des choses triviales ou communes : c’est pour cette raison que les beaux parleurs sont ordinairement si insupportables aux gens d’esprit, qui cherchent beaucoup plus à bien penser qu’à bien dire, ou plûtôt qui croyent que pour bien dire, il suffit de bien penser, qu’une pensée neuve, forte, juste, lumineuse, porte avec elle son expression ; & qu’une pensée commune ne doit jamais être présentée que pour ce qu’elle est, c’est-à-dire avec une expression simple.

Affectation dans le style, c’est à peu près la même chose que l’affectation dans le langage, avec cette différence que ce qui est écrit doit être naturellement un peu plus soigné que ce que l’on dit, parce qu’on est supposé y penser mûrement en l’écrivant ; d’où il s’ensuit que ce qui est affectation dans le langage ne l’est pas quelquefois dans le style. L’affectation dans le style est à l’affectation dans le langage, ce qu’est l’affectation d’un grand Seigneur à celle d’un homme ordinaire. J’ai entendu quelquefois faire l’éloge de certaines personnes, en disant qu’elles parlent comme un livre : si ce que ces personnes disent étoit écrit, cela pourroit être supportable : mais il me semble que c’est un grand défaut que de parler ainsi ; c’est une marque presque certaine que l’on est dépourvû de chaleur & d’imagination : tant pis pour qui ne fait jamais de solécismes en parlant. On pourroit dire que ces personnes-là lisent toûjours, & ne parlent jamais. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’ordinairement ces beaux parleurs sont de très-mauvais écrivains : la raison en est toute simple ; ou ils écrivent comme ils parleroient, persuadés qu’ils parlent comme on doit écrire ; & ils se permettent en ce cas une infinité de négligences & d’expressions impropres qui échappent, malgré qu’on en ait, dans le discours ; ou ils mettent, proportion gardée, le même soin à écrire qu’ils mettent à parler ; & en ce cas l’affectation dans leur style est, si on peut parler ainsi, proportionnelle à celle de leur langage, & par conséquent ridicule. (O)

* Affectation, Afféterie. Elles appartiennent toutes les deux à la maniere extérieure de se comporter, & consistent également dans l’éloignement du naturel ; avec cette différence que l’affecta-

tion a pour objet les pensées, les sentimens, le goût

dont on fait parade, & que l’afféterie ne regarde que les petites manieres par lesquelles on croit plaire.

L’affectation est souvent contraire à la sincérité ; alors elle tend à décevoir ; & quand elle n’est pas hors de la vérité, elle déplaît encore par la trop grande attention à faire paroître ou remarquer cet avantage. L’afféterie est toûjours opposée au simple & au naïf : elle a quelque chose de recherché qui déplaît sur-tout aux partisans de la franchise : on la passe plus aisément aux femmes qu’aux hommes. On tombe dans l’affectation en courant après l’esprit, & dans l’afféterie en recherchant des graces. L’affectation & l’afféterie sont deux défauts que certains caracteres bien tournés ne peuvent jamais prendre, & que ceux qui les ont pris ne peuvent presque jamais perdre. La singularité & l’affectation se font également remarquer : mais il y a cette différence entr’elles, qu’on contracte celle-ci, & qu’on naît avec l’autre. Il n’y a gueres de petits Maîtres sans affectation, ni de petites Maîtresses sans afféterie.

Affectation, terme de Pratique, signifie l’imposition d’une charge ou hypotheque sur un fonds, qu’on assigne pour sûreté d’une dette, d’un legs, d’une fondation, ou autre obligation quelconque.

Affectation, en Droit canonique, est telle exception ou réservation que ce soit, qui empéche que le collateur n’en puisse pourvoir à la premiere vacance qui arrivera ; comme lorsqu’il est chargé de quelque mandat, indult, nomination, ou réservation du Pape. Voyez Mandat, Indult, Nomination, & Réservation.

L’affectation des Bénéfices n’a pas lieu en France, où les réservations papales sont regardées comme abusives. (H)

AFFECTÉ. Equation affectée, en Algebre, est une équation dans laquelle la quantité inconnue monte à deux ou à plusieurs degrés différens. Telle est, par exemple, l’équation , dans laquelle il y a trois différentes puissances de x ; savoir ou x. Voyez Equation.

Affecté se dit aussi quelquefois en Algebre, en parlant des quantités qui ont des coefficiens : par exemple, dans la quantité 2 a, a est affecté du coefficient 2. Voyez Coefficient.

On dit aussi qu’une quantité Algébrique est affectée du signe + ou du signe-, ou d’un signe radical, pour dire qu’elle a le signe + ou le signe-, ou qu’elle renferme un signe radical. Voyez Radical, &c. (O)

AFFECTION, s. f pris dans sa signification naturelle & littérale, signifie simplement un attribut particulier à quelque sujet, & qui naît de l’idée que nous avons de son essence. Voyez Attribut.

Ce mot vient du verbe Latin afficere, affecter, l’attribut étant supposé affecter en quelque sorte le sujet par la modification qu’il y apporte.

Affection en ce sens est synonyme à propriété, ou à ce qu’on appelle dans les écoles proprium quarto modo. Voyez Propriété, &c.

Les Philosophes ne sont pas d’accord sur le nombre de classes des différentes affections qu’on doit reconnoître.

Selon Aristote, elles sont, ou subordonnantes, ou subordonnées. Dans la premiere classe est le mode tout seul ; & dans la seconde, le lieu, le tems, & les bornes du sujet.

Le plus grand nombre des Péripatéticiens partagent les affections en internes, telles que le mouvement & les bornes ; & externes, telles que la place & le tems. Selon Sperlingius, il est mieux de diviser les affections en simples ou unies, & en séparées ou désunies. Dans la premiere classe, il range la quantité, la qualité, la place, & le tems ; & dans l’autre, le mouvement & le repos.