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font le négoce des aiguilles ; il est considérable : on les tire de Rouen & d’Evreux. L’Allemagne en fabrique beaucoup ; il en vient sur-tout d’Aix-la-Chapelle. On n’en fabrique plus guere à Paris ; si on y trouve encore quelques Aiguilliers, ce sont de ceux qui font de grandes aiguilles à broder, pour la tapisserie, pour les métiers à bas ; en un mot des seules sortes qui se font à peu de frais, & qui se vendent cher. Il y a des aiguilles à tapisserie qu’on vend jusqu’à six sols la piece. Il n’étoit guere possible qu’une Communauté d’ouvriers fabriquant l’aiguille à coudre, qui demande tant de préparations, & qui se donne à si bon marché, se formât & se soûtînt dans une ville capitale où les vivres sont chers, à moins qu’elle n’en eût eu le privilége exclusif : mais il me semble qu’il n’y a qu’un seul cas où les priviléges exclusifs puissent être accordés sans injustice ; c’est celui ou c’est l’inventeur d’une chose utile qui le demande. Il faut récompenser les inventeurs, afin d’exciter entre les sujets d’un état l’esprit de recherche & d’invention : mais accorder à une Compagnie le privilége exclusif de la fabrication d’un ouvrage que beaucoup de gens peuvent faire, c’est vouloir que cet ouvrage, au lieu de se perfectionner, aille toûjours en dégénérant, & soit toûjours vendu plus cher ; le fabriquant privilégié sûr de vendre, met à ce qu’il fait le moins d’étoffe & de perfection qu’il peut ; & le Marchand est contraint d’acheter sans mot dire. Dans l’impossibilité de se mieux pourvoir ailleurs, il faut qu’il se contente de ce qu’il trouve.

Les aiguilles à Tailleur se distribuent en aiguilles à boutons, à galons, & à boutonnieres, & en aiguilles à rabattre, à coudre, & à rentraire. L’aiguille dont le Tailleur se sert pour coudre, rentraire, & rabattre, est la même : mais entre les Tailleurs, les uns font ces manœuvres avec une aiguille fine, les autres avec une aiguille un peu plus grosse. Il en est de même des aiguilles à boutons, à galons, & à boutonnieres ; il ne seroit pourtant pas mal de prendre l’aiguille à boutons & à galons, un peu plus forte que l’aiguille à boutonnieres, parce qu’elle a plus de résistance à vaincre.

Les Chirurgiens se servent d’aiguilles ordinaires pour coudre les bandes, & autres pieces d’appareils. Il y en a de particulieres pour différentes opérations. On se sert d’aiguilles pour la réunion des plaies & pour la ligature des vaisseaux. Ces aiguilles sont courbes (V. les figures 6 & 7. Pl. III.) on y considere trois parties, la tête, le corps, & la pointe. La tête doit avoir moins de volume que le corps ; elle est percée d’une ouverture longuette entre deux rainures latérales plus ou moins profondes, suivant la dimension de l’aiguille. L’usage de ces rainures est de contenir une partie des fils qui traversent l’œil, afin qu’ils passent facilement dans les chairs. Les rainures & l’œil doivent se trouver du côté des tranchans. Le corps de l’aiguille commence où finissent les rainures ; il doit être rond, & commencer un triangle en approchant de la pointe. La pointe est la partie la plus large de l’aiguille : elle doit en comprendre le tiers. Elle forme un triangle dont la base est plate en-dehors ; les angles qui terminent cette surface sont tranchans, & par conséquent très-aigus. Le commencement de cette pointe est large, & diminue insensiblement jusqu’à l’extrémité qui doit être assez fine pour faire le moins de douleur qu’il est possible, mais en même tems assez solide pour ne point s’émousser en perçant le tissu de la peau. La base du triangle dont nous avons parlé forme le dos ou la convexité de l’aiguille ; la surface concave est double : ce sont deux biseaux séparés par une vive arrête. Par cette construction, le corps & la tête armée des fils passent facilement par l’ouverture que la pointe a faite ; & le Chirurgien ne risque point de se blesser, le corps de

l’aiguille n’étant point tranchant ; condition que la plûpart des Couteliers négligent. La courbure mal faite donne une grande imperfection aux aiguilles ; & cette imperfection est commune. Il ne faut pas que la courbure soit particulierement affectée à la pointe ; tout le corps de l’aiguille doit contribuer à former un arc ; car l’aiguille en pénétrant à une certaine distance d’une levre de la plaie pour passer par son fond, & sortir à pareille distance de l’autre levre, doit décrire une ligne courbe dans toute son étendue ; & si toute l’aiguille ne contribue pas également à la formation de sa courbure, l’opération sera très-douloureuse, & sujette à accidens ; parce que la tête & le corps formant une ligne droite, ne pourroient traverser les chairs qu’en froissant considérablement le passage. Il y a des aiguilles de différentes grandeurs & de différens degrés de courbure, selon la profondeur des plaies ; on proportionne toûjours le volume du fil à celui des aiguilles, comme l’aiguille à la plaie. Voyez Plaie.

Les aiguilles pour la suture des tendons (Voyez fig. 8. Pl. III.) ont le corps rond ; la pointe ne coupe point sur les côtés : elles sont plates par cette extrémité où il n’y a qu’un tranchant dans la concavité, la partie convexe étant arrondie & mousse ; cette construction a été imaginée pour que l’aiguille ne fasse qu’écarter les fibres tendineuses qui sont disposées parallelement. L’œil de cette aiguille doit par la même raison répondre à son tranchant & à son dos, afin que le fil passe plus facilement, & n’écarte pas la plaie. Les habiles Chirurgiens ne se servent pas de suture pour la réunion des tendons, ce qui supprime l’usage de ces aiguilles. Voyez Plaie des tendons.

Les aiguilles pour le bec de lievre (fig. 9. Pl. III.) sont toutes droites ; leur corps est exactement cylindrique, & elles n’ont point d’œil. Leur pointe est applatie, tranchante sur les côtés, & a la forme d’une langue de vipere, afin de couper en perçant, & de faire une voie large au reste de l’aiguille. Quelques Praticiens veulent que ces aiguilles soient d’or, pour ne se point rouiller dans la plaie.

M. Petit a imaginé des épingles d’or ou d’argent à deux têtes pour l’opération du bec de lievre. (fig. 11. Pl. III.) Les aiguilles qui sont destinées à les conduire sont en forme de lardoires. (fig. 10. Pl. III.) Leur corps est cylindrique ; leur tête est fendue pour loger une extrémité des épingles : la pointe est un peu courbe, triangulaire, & tranchante sur les côtés. Voyez Bec de lièvre.

Il y a une aiguille particuliere pour la ligature de l’artere intercostale. On en doit l’invention à M. Goulard, Chirurgien de Montpellier, & de la Société Royale des Sciences de cette ville. Elle ressemble à une petite algalie ; sa tête est en plaque, son corps qui a trois pouces de longueur, est cylindrique : sa pointe qui est tranchante sur les côtés, & percée de deux trous, est à l’extrémité d’un demi-cercle capable d’embrasser une côte. Il y a une rainure sur la convexité pour loger les fils. Nous parlerons de ce moyen en parlant de la ligature de l’artere intercostale.

Les aiguilles à abattre la cataracte (fig. 12. Planche XXIII.) sont montées sur un manche d’ivoire, de bois, ou de métal, de trois pouces de long : elles sont droites, & la pointe est à langue de serpent bien tranchante. Il faut en avoir qui aient une petite rainure le long de leur corps pour conduire une lancette en cas de besoin. Ces aiguilles doivent être d’un acier bien pur & bien trempé ; leur longueur au-delà du manche est d’un pouce trois ou quatre lignes ; le manche peut leur servir d’étui. Voyez Cataracte.

L’aiguille à anevrisme (fig. 18. Pl. III.) a le corps cylindrique, sa tête est une petite palette qui sert à la tenir avec plus de sûreté ; sa courbure est grande, & forme une panse pour donner plus de jeu à l’ins-