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qui sont en usage parmi les nations civilisées ; il ne nieroit pas sans doute que dans la société civile, qui est cultivée par les arts, le frein des lois est absolument nécessaire. Or voici les questions qu’il est naturel de lui faire. Si un peuple peut vivre paisiblement hors de la société civile sans le frein des lois, mais ne sauroit sans ce frein vivre paisiblement dans l’état de société : quelle raison avez-vous de prétendre que, quoiqu’il puisse vivre paisiblement hors de la société sans le frein de la religion, ce frein ne devienne pas nécessaire dans l’état de société ? La réponse à cette question entraîne nécessairement l’examen de la force du frein qu’il faut imposer à l’homme qui vit en société : or nous avons prouvé qu’outre le frein des lois humaines, il falloit encore celui de la religion.

On peut observer qu’il regne un artifice uniforme dans tous les sophismes, dont M. Bayle fait usage pour soûtenir son paradoxe. Sa these étoit de prouver que l’athéisme n’est pas pernicieux à la société ; & pour le prouver, il cite des exemples. Mais quels exemples ? De sophistes, ou de sauvages, d’un petit nombre d’hommes spéculatifs fort au-dessous de ceux qui dans un état forment le corps des citoyens, ou d’une troupe de barbares & de sauvages infiniment au-dessous d’eux, dont les besoins bornés ne réveillent point les passions ; des exemples, en un mot, dont on ne peut rien conclurre, par rapport au commun des hommes, & à ceux d’entr’eux qui vivent en société. Voyez les dissertations de l’union de la religion, de la morale & de la politique de M. Warbuton, d’où sont extraits la plûpart des raisonnemens qu’on fait contre ce paradoxe de M. Bayle. Lisez l’article du Polythéisme, où l’on examine quelques difficultés de cet auteur. (X)

ATHÉISME, s. m. (Métaphysiq.) c’est l’opinion de ceux qui nient l’existence d’un Dieu auteur du monde. Ainsi la simple ignorance de Dieu ne feroit pas l’athéisme. Pour être chargé du titre odieux d’atheisme, il faut avoir la notion de Dieu, & la rejetter. L’état de doute n’est pas non plus l’athéisme formel : mais il s’en approche ou s’en éloigne, à proportion du nombre des doutes, ou de la maniere de les envisager. On n’est donc fondé à traiter d’athées que ceux qui déclarent ouvertement qu’ils ont pris parti sur le dogme de l’existence de Dieu, & qu’ils soutiennent la négative. Cette remarque est très-importante, parce que quantité de grands hommes, tant anciens que modernes, ont fort legerement été taxés d’athéisme, soit pour avoir attaqué les faux dieux, soit pour avoir rejetté certains argumens foibles, qui ne concluent point pour l’existence du vrai Dieu. D’ailleurs il y a peu de gens, qui pensent toûjours conséquemment, surtout quand il s’agit d’un sujet aussi abstrait & aussi composé que l’est l’idée de la cause de toutes choses, ou le gouvernement du monde. On ne peut regarder comme véritable athée que celui qui rejette l’idée d’une intelligence qui gouverne avec un certain dessein. Quelque idée qu’il se fasse de cette intelligence ; la supposât-il matérielle, limitée à certains égards, &c. tout cela n’est point encore l’athéisme. L’athéisme ne se borne pas à défigurer l’idée de Dieu, mais il la détruit entierement.

J’ai ajoûté ces mots, auteur du monde, parce qu’il ne suffit pas d’adopter dans son système le mot de Dieu, pour n’être pas athée. Les Epicuriens parloient des dieux, ils en reconnoissoient un grand nombre ; & cependant ils étoient vraiement athées, parce qu’ils ne donnoient à ces dieux aucune part à l’origine & à la conservation du monde, & qu’ils les reléguoient dans une mollesse de vie oisive & indolente. Il en est de même du Spinosisme, dans lequel l’usage du mot de Dieu n’empêche point que ce système n’en exclue la notion.

L’athéisme est fort ancien ; selon les apparences, il y a eu des athées avant Démocrite & Leucippe, puisque Platon (de Legib. pag. 888. edit. Serr.) dit en parlant aux athées de son tems. « Ce n’est pas vous seul mon fils, ni vos amis (Démocrite, Leucippe & Protagore) qui avez eu les premiers ces sentimens touchant les dieux : mais il y a toûjours eu plus ou moins de gens attaqués de cette maladie ». Aristote dans sa Metaphysique assûre que plusieurs de ceux qui ont les premiers philosophe, n’ont reconnu que la matiere pour la premiere cause de l’univers, sans aucune cause efficiente & intelligente. La raison qu’ils en avoient, comme ce philosophe le remarque, (lib. I. c. iij.) c’est qu’ils assûroient qu’il n’y a aucune substance que la matiere, & que tout le reste n’en est que des accidens, qui sont engendrés & corruptibles ; au lieu que la matiere qui est toûjours la même, n’est ni engendrée, ni sujette à être détruite, mais éternelle. Les matérialistes étoient de véritables athées, non pas tant parce qu’ils n’établissoient que des corps, que parce qu’ils ne reconnoissoient aucune intelligence qui les mût & les gouvernât. Car d’autres Philosophes, comme Héraclite, Zenon, &c. en croyant que tout est matériel, n’ont pas laisse d’admettre une intelligence naturellement attachée à la matiere, & qui animoit tout l’univers, ce qui leur faisoit dire que c’est un animal : ceux-ci ne peuvent être regardés comme athées.

L’on trouve diverses especes d’athéismes chez les anciens. Les principales sont l’éternité du monde, l’atomisme ou le concours fortuit, l’hylopathianisme, & l’hylozoïsme, qu’il faut chercher sous leurs titres particuliers dans ce Dictionnaire. Il faut remarquer que l’éternité du monde n’est une espece d’athéisme que dans le sens auquel Aristote & ses sectateurs l’établissoient, car ce n’est pas être athée que de croire le monde co-éternel à Dieu, & de le regarder comme un effet inséparable de sa cause. Pour l’éternité de la matiere, je n’ai garde de la ranger parmi les systèmes des athées. Ils l’ont tous soutenue à la vérité ; mais des Philosophes théistes l’ont pareillement admise, & l’époque du dogme de la création n’est pas bien assûrée. Voyez Création. Parmi les modernes, il n’y a d’athéisme systématique que celui de Spinosa, dont nous faisons aussi un article séparé. Nous nous bornons ici aux remarques générales suivantes.

1°. C’est à l’athée à prouver que la notion de Dieu est contradictoire, & qu’il est impossible qu’un tel être existe ; quand même nous ne pourrions pas démontrer la possibilité de l’être souverainement parfait, nous serions en droit de demander à l’athée les preuves du contraire ; car étant persuadés avec raison que cette idée ne renferme point de contradiction, c’est à lui à nous montrer le contraire ; c’est le devoir de celui qui nie d’alléguer ses raisons. Ainsi tout le poids du travail retombe sur l’athée ; & celui qui admet un Dieu, peut tranquillement y acquiescer, laissant à son antagoniste le soin d’en démontrer la contradiction. Or, ajoûtons-nous, c’est ce dont il ne viendra jamais à bout. En effet, l’assemblage de toutes les réalités, de toutes les perfections dans un seul être, ne renferme point de contradiction, il est donc possible ; & dès-là qu’il est possible, cet être doit nécessairement exister, l’existence étant comprise parmi ces réalités : mais il faut renvoyer à l’article Dieu le détail des preuves de son existence.

2°. Bien loin d’éviter les difficultés, en rejettant la notion d’un Dieu, l’athée s’engage dans des hypotheses mille fois plus difficiles à recevoir. Voici en peu de mots ce que l’athée est obligé d’admettre. Suivant son hypothese, le monde existe par lui-même, il est indépendant de tout autre être ; & il n’y a rien dans ce monde visible qui ait sa raison hors du monde. Les parties de ce tout & le tout lui-même ren-