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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/337

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les fois qu’on parle d’une maniere qui n’est pas conforme, ou aux choses, ou à nos propres pensées ; & qu’ainsi la vérité logique, qui consiste dans une simple conformité de paroles avec les choses, ne répond pas toujours à la vérité morale. Il s’ensuit encore que ceux-là se trompent beaucoup, qui ne mettent aucune différence entre mentir & dire une fausseté. Mentir est une action deshonnête & condamnable, mais on peut dire une fausseté indifférente ; on en peut dire une qui soit permise, louable & même nécessaire : par conséquent une fausseté que les circonstances rendent telle, ne doit pas être confondue avec le mensonge, qui décele une ame foible, ou un caractere vicieux.

Il ne faut donc point accuser de mensonge, ceux qui emploient des fictions ou des fables ingénieuses pour l’instruction, & pour mettre à couvert l’innocence de quelqu’un, comme aussi pour appaiser une personne furieuse, prête à nous blesser : pour faire prendre quelques remedes utiles à un malade ; pour cacher les secrets de l’état, dont il importe de dérober la connoissance à l’ennemi, & autres cas semblables, dans lesquels on peut se procurer à soi-même, ou procurer aux autres une utilité légitime & entierement innocente.

Mais toutes les fois qu’on est dans une obligation manifeste de découvrir fidélement ses pensées à autrui, & qu’il a droit de les connoître, on ne sauroit sans crime ni supprimer une partie de la vérité, ni user d’équivoques ou de restrictions mentales ; c’est pourquoi Cicéron condamne ce romain qui, après la bataille de Cannes, ayant eu d’Annibal la permission de se rendre à Rome, à condition de retourner dans son camp, ne fut pas plûtôt sorti de ce camp, qu’il y revint sous prétexte d’avoir oublié quelque chose, & se crut quitte par ce stratagème de sa parole donnée.

Concluons que si le mensonge, les équivoques & les restrictions mentales sont odieuses, il y a dans le discours des faussetés innocentes, que la prudence exige ou autorise ; car de ce que la parole est l’interprête de la pensée, il ne s’ensuit pas toujours qu’il faille dire tout ce que l’on pense. Il est au contraire certain que l’usage de cette faculté doit être soumis aux lumieres de la droite raison, à qui il appartient de décider quelles choses il faut découvrir ou non. Enfin pour être tenu de déclarer naïvement ce qu’on a dans l’esprit, il faut que ceux à qui l’on parle, aient droit de connoître nos pensées. (D. J.)

Mensonge officieux : un certain roi, dit Musladin Sadi dans son Rosarium politicum, condamna à la mort un de ses esclaves qui, ne voyant aucune espérance de grace, se mit à le maudire. Ce prince qui n’entendoit point ce qu’il disoit, en demanda l’explication à un de ses courtisans. Celui-ci qui avoit le cœur bon & disposé à sauver la vie au coupable, répondit : « Seigneur, ce misérable dit que le paradis est préparé pour ceux qui moderent leur colere, & qui pardonnent les fautes ; & c’est ainsi qu’il implore votre clémence ». Alors le roi pardonna à l’esclave, & lui accorda sa grace. Sur cela un autre courtisan d’un méchant caractere, s’écria qu’il ne convenoit pas à un homme de son rang de mentir en présence du roi, & se tournant vers ce prince : « Seigneur, dit-il, je veux vous instruire de la vérité ; ce malheureux a proféré contre vous les plus indignes malédictions, & ce seigneur vous a dit un mensonge formel ». Le roi s’appercevant du mauvais caractere de celui qui tenoit ce langage, lui répondit : « Cela se peut ; mais son mensonge vaut mieux que votre vérité, puisqu’il a tâché par ce moyen de sauver un homme, au lieu que vous cherchez à le perdre. Ignorez-vous cette sage maxime, que le mensonge qui procure du bien, vaut

mieux que la vérité qui cause du dommage ? » Cependant, auroit dû ajouter le prince, qu’on ne me mente jamais.

MENSORES, (Antiq. rom.) c’étoient des fourriers & maréchaux-des-logis, qui avoient le soin d’aller marquer les logis quand l’empereur vouloit se rendre dans quelque province ; & quand il falloit camper, ils dressoient le plan du camp, & assignoient à chaque régiment son quartier.

Les mensores désignoient aussi les arpenteurs, les architectes & les experts des bâtimens publics ; enfin ceux qui pourvoyoient l’armée de grain, se nommoient mensores frumentarii. (D. J.)

MENSTRUES, catamenia, (Medécine.) ce sont les évacuations qui arrivent chaque mois aux femmes qui ne sont ni enceintes ni nourrices. Voyez Menstruel. On les appelle ainsi de mensis mois, parce qu’elles viennent chaque mois. On les nomme aussi fleurs, regles, ordinaires, &c. Voyez Regles.

Les menstrues des femmes sont un des plus curieux & des plus embarrassans phénomènes du corps humain. Quoiqu’on ait formé différentes hypothèses pour l’expliquer, on n’a encore presque rien de certain sur cette matiere.

On convient universellement que la nécessité de fournir une nourriture suffisante au fœtus pendant la grossesse, est la raison finale de la surabondance de sang qui arrive aux femmes dans les autres tems. Mais voilà la seule chose dont on convienne. Quelques-uns non contens de cela, prétendent que le sang menstruel est plûtôt nuisible par sa qualité, que par sa quantité ; ce qu’ils concluent des douleurs que plusieurs femmes ressentent aux approches des regles. Ils ajoutent, que sa malignité est si grande, qu’il gâte les parties des hommes par un simple contact ; que l’haleine d’une femme qui a ses regles, laisse une tache sur l’ivoire, ou sur un miroir ; qu’un peu de sang menstruel brûle la plante sur laquelle elle tombe & la rend stérile ; que si une femme grosse touche de ce sang elle se blesse ; que si un chien en goûte, il tombe dans l’épilepsie, & devient enragé. Tout cela, ainsi que plusieurs autres fables de même espece, rapportées par de graves auteurs, est trop ridicule pour avoir besoin d’être refuté.

D’autres attribuent les menstrues à une prétendue influence de la lune sur les corps des femmes. C’étoit autrefois l’opinion dominante ; mais la moindre réflexion en auroit pu faire voir la fausseté. En effet, si les menstrues étoient causées par l’influence de la lune, toutes les femmes de même âge & de même tempérament, auroient leurs regles aux mêmes périodes & révolutions de la lune, & par conséquent en même tems ; ce qui est contraire à l’expérience.

Il y a deux autres opinions qui paroissent fort probables, & qui sont soutenues avec beaucoup de force & par quantité de raisons. On convient de part & d’autre que le sang menstruel n’a aucune mauvaise qualité ; mais on n’est pas d’accord sur la cause de son évacuation. La premiere de ces deux opinions est celle du docteur Bohn & du docteur Freind, qui prétendent que l’évacuation menstruelle est uniquement l’effet de la pléthore. V. Pléthore.

Freind qui a soutenu cette opinion avec beaucoup de force & de netteté, croit que la plethore est produite par une surabondance de nourriture, qui peu-à-peu s’accumule dans les vaisseaux sanguins ; que cette plethore a lieu dans les femmes & non dans les hommes, parce que les femmes ont des corps plus humides, des vaisseaux & sur-tout leurs extrémités plus tendres, & une maniere de vivre moins active que les hommes ; que le concours de ces choses fait que les femmes ne transpirent pas suffisamment pour dissiper le superflu des parties nutritives, lesquelles s’accumulent au point de disten-