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peces, on peut dire que tous ces mots ont une même signification objective, parce qu’ils représentent tous la même idée fondamentale ; tels sont les mots aimer, ami, amical, amiablement, amicalement, amitié, qui signifient tous ce sentiment affectueux qui porte les hommes à se vouloir & à se faire du bien les uns aux autres. Mais chaque espece de mot & même chaque mot ayant sa maniere propre de présenter l’objet dont il est le signe, la signification formelle est nécessairement différente dans chacun de ces mots, quoique la signification objective soit la même : cela est sensible dans ceux que l’on vient d’alléguer, qui pourroient tous se prendre indistinctement les uns pour les autres sans ces différences individuelles qui naissent de la maniere de représenter. Voyez Mot.

Or il est vrai que les modes, c’est à dire les différentes modifications de la signification objective du verbe, s’expriment communément par des adverbes ou par des expressions adverbiales : par exemple, quand on dit aimer peu, aimer beaucoup, aimer tendrement, aimer sincérement, aimer depuis long-tems, aimer plus, aimer autant, &c. il est évident que c’est l’attribut individuel qui fait partie de la signification objective de ce verbe, en un mot, l’amitié qui est modifiée par tous ces adverbes, & que l’on pense alors à une amitié petite ou grande, tendre, sincere, ancienne, supérieure, égale, &c. Mais il est évident aussi que ce ne sont pas des modifications de cette espece qui caractérisent ce qu’on appelle les modes des verbes, autrement chaque verbe auroit ses modes propres, parce qu’un attribut n’est pas susceptible des mêmes modifications qui peuvent convenir à un autre : ce qui caractérise nos modes n’appartient nullement à l’objet de la signification du verbe, c’est à la forme, à la maniere dont tous les verbes signifient. Ce qui appartient à l’objet de la signification, se trouve sous toutes les formes du verbe ; & c’est pourquoi dans la langue hébraïque la frequence de l’action sert de fondement à une conjugaison entiere différente de la conjugaison primitive, la réciprocation de l’action sert de fondement à une autre, &c. Mais les mêmes modes se retrouvent dans chacune de ces conjugaisons, que j’appellerois plus volontiers des voix, voyez Voix. Ce qui constitue les modes, ce sont les divers aspects sous lesquels la signification formelle du verbe peut être envisagée dans la phrase ; & il faut bien que Sanctius & ses disciples reconnoissent que le même tems varie ses formes selon ces divers aspects, puisqu’ils rejetteroient, comme très-vicieuse, cette phrase latine, nescio utrùm cantabo, & cette phrase françoise, je crains qu’il ne vient ; il faut donc qu’ils admettent les modes, qui ne sont que ces differentes formes des mêmes tems.

II. Pour ce qui concerne les débats des Grammairiens sur le nombre des modes ; j’avoue que je ne conçois pas par quel principe de logique on en conclud qu’il n’en faut point admettre. L’obscurité qui naît de ces débats vient de la maniere de concevoir des Grammairiens qui entendent mal la doctrine des modes, & non pas du fonds même de cette doctrine ; & quand elle auroit par elle-même quelqu’obscurité pour la portée commune de notre intelligence, faudroit-il renoncer à ce que les usages constans des langues nous en indiquent clairement & de la maniere la plus positive ?

III. La troisieme considération sur laquelle on insiste principalement dans la méthode latine de P. R. n’est pas moins illusoire que les deux autres. Si l’on trouve des exemples où le subjonctif est mis au lieu de l’indicatif, de l’impératif & du suppositif, ce n’est pas une substitution indifférente qui donne une expression totalement synonyme, & dans ce cas là mê-

me le subjonctif est amené par les principes les plus rigoureux de la Grammaire. Ego nequicquam capito lium servaverim ; c’est, comme je l’ai déja dit, res erit ita ut servaverim, ce qui est équivalent à servavero & non pas à servavi ; & l’on voit que servaverim a une raison grammaticale. On me dira peut-être que de mon aveu le tout signifie servavero, & qu’il étoit plus naturel de l’employer que servaverim, qui jette de l’obscurité par l’ellipse, ou de la langueur par la périphrase : cela est vrai, sans doute, si on ne doit parler que pour exprimer didactiquement sa pensée ; mais s’il est permis de rechercher les graces de l’harmonie, qui nous dira que la terminaison rim ne faisoit pas un meilleur effet sur les oreilles romaines, que n’auroit pû faire la terminaison ro ? Et s’il est utile de rendre dans le besoin son style intéressant par quelque tour plus énergique ou plus pathétique, qui ne voit qu’un tour elliptique est bien plus propre à produire cet heureux effet qu’une construction pleine ? Un cœur échauffé préocupe l’esprit, & ne lui laisse ni tout voir ni tout dire. Voyez Subjonctif.

Si les considérations qui avoient déterminé Sanctius, Ramus, Scioppius & M. Lancelot à ne reconnoître aucun mode dans les verbes, sont fausses, ou inconséquentes, ou illusoires ; s’il est viai d’ailleurs que dans les verbes conjugués il y a diverses manieres de signifier l’existence d’un sujet sous un attribut, ici directement, là obliquement, quelquefois sous la forme personnelle, d’autres fois sous une forme impersonnelle, &c. enfin, si l’on retrouve dans toutes ces manieres différentes les variétés principales des tems qui sont fondées sur l’idée essentielle de l’existence : c’est donc une nécessité d’adopter, avec tous les autres Grammairiens, la distinction des modes, décidée d’ailleurs par l’usage universel de toutes les langues qui conjuguent leurs verbes. (B.E.R.M.)

Mode, s. m. en Musique, est la disposition réguliere de l’échelle, à l’égard des sons principaux sur lesquels une piece de musique doit être constituée, & ces sons s’appellent les cordes essentielles du mode.

Le mode differe du ton, en ce que celui-ci n’indique que la corde ou le lieu du système qui doit servir de fondement au chant, & le mode détermine la tierce & modifie toute l’échelle sur ce ton fondamental.

Le mode tire son fondement de l’harmonie : les cordes essentielles au mode sont au nombre de trois, qui forment ensemble un accord parfait ; 1°. la tonique, qui est le son fondamental du mode & du ton. Voyez Ton & Tonique ; 2°. la dominante qui est la quinte de la tonique. Voyez  ; 3°. la médiante, qui constitue proprement le mode, & qui est à la tierce de cette même tonique. Voyez Médiante. Comme cette tierce peut être de deux especes, il y a aussi deux modes différens. Quand la médiante fait tierce majeure sur la tonique, le mode est majeur ; mineur, si la tierce est mineure.

Le mode une fois déterminé, tous les sons de la gamme prennent chacun un nom relatif au fondamental & conforme à la place qu’ils occupent dans ce mode là : voici les noms de toutes les notes relativement à leur mode, en prenant l’octave d’ut pour exemple du mode majeur, & celle de la pour exemple du mode mineur.

Mode majeur. ut re mi fa sol la si ut
Mode mineur. la si ut re mi fa sol la
Tonique. Seconde note. Médiane. Sous-dominante,
ou quatrième note.
Dominante. Sixième note. Septième note. Octave.