Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/264

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à digérer la nourriture ; la sixieme, enfin, de la sagacité merveilleuse de tous les animaux pour trouver leur nourriture propre, & pour en faire provision. Ecoutons d’abord deux sages payens : Pastum animantibus largè & copiosè natura eum qui cuique aptus erat, comparavit, & ille Deus est qui per totum orbem armenta dimisit, qui gregibus ubique passim vagantibus pabulum prestat. En effet, c’est une des grandes actions de la puissance & de la sagesse de Dieu aussi bien que de sa bonté, de pourvoir ainsi de pâture tout un monde animal, tel que celui qui occupe de toutes parts le globe terrestre, tant les terres que les mers, tant la zone torride & les zones glaciales que les tempérées ; en général il s’en trouve suffisamment en tous lieux, on pourroit même dire abondamment, sans pourtant qu’elle excede au point d’en faire gâter ou corrompre une partie, & de causer par-là des infections dans le monde ; ce qu’il faut particulierement remarquer ici, c’est que parmi la grande diversité des alimens, les plus utiles sont plus universels & en plus grande quantité ; ils croissent & se multiplient le plus facilement, & résistent le mieux aux injures du dehors & aux mauvais tems. Les animaux, par exemple, qui mangent de l’herbe sont en grand nombre, & en dévorent une grande quantité ; aussi trouve-t-on la surface de la terre presque par-tout tapissée & couverte d’herbe ou d’autres plantes salutaires, & cela naturellement & sans culture. Il en est de même du grain, sur-tout de celui qui est le plus utile : avec quelle facilité ne le cultive-t-on pas, & combien est abondante la moisson qu’on en recueille ? le froment fournit une preuve suffisante sur ce sujet. Tritico nihil est fertilius : hoc ei natura tribuit quoniam eo maxime alebat hominem, ut positum medio, si sit aptum solum. Rien de plus commun que le froment ; un seul grain en peut fournir jusqu’à 360. Le blé vient par-tout où le sol ne s’y oppose pas.

La variété des alimens. Sed illa quanta benignitas natura quod tam multa ad vescendum tam varia tamque jucunda gignit ; neque ea uno tempore voluit ut semper & nos dote delectemur & copia ? Les diverses especes d’animaux se délectant dans des alimens différens, les uns aiment l’herbe, les autres les grains & les semences : les uns sont carnassiers, les autres mangent des insectes : l’un choisit une sorte d’alimens, l’autre une autre : quelques uns demandent une nourriture délicate & bien préparée, il y en a d’autres plus goulus qui avalent tout ce qu’ils trouvent. Si tous les animaux se portoient vers la même espece de nourriture & ne pouvoient vivre sans elle, il ne s’en trouveroit pas assez pour leur subsistance ; au lieu que cette inclination pour diverses sortes d’alimens, qui fait que les uns ont en aversion la nourriture qui fait plaisir aux autres, est un moyen très sagement ordonné pour sustenter suffisamment chaque sorte d’animaux, & même souvent au delà du nécessaire. Chaque endroit de la surface de la terre est rempli d’animaux qui lui sont propres, & dont les organes qui servent à la vie & à leurs actions principales sont appropriés d’une maniere curieuse & singuliere à chaque lieu respectif. Une action merveilleuse de la providence à cet égard, c’est que chacun de ces lieux apporte une nourriture propre à l’entretien des créatures qui y vivent. Comme toutes les régions de la terre, les divers climats & ses différens terroirs, les mers & les autres eaux, même les lieux les plus malpropres & les plus remplis de putréfaction, sont tous habités par des créatures vivantes, aussi en rencontre-t-on dans chacun l’une ou l’autre espece d’alimens propres à la substance des créatures qui y sont. On en peut alléguer mille preuves, comme la grande variété d’herbes, de fruits, de grains, &c. qu’on trouve sur la terre ; les essaims nombreux d’insectes qui sont

dans l’air, &c. Mais la maniere dont Dieu a pourvu à la nourriture des animaux aquatiques, est sur-tout très-remarquable : non seulement il a fait germer diverses plantes dans les eaux, mais il y a approprié ces mêmes eaux à servir de matrice à un grand nombre d’animaux, particulierement à quantité d’insectes, tant aquatiques que de ceux qui appartiennent à l’eau ou à la terre, qui par la grande affinité qu’ils ont avec les eaux, se délectent souvent dans cet élément, & de cette maniere deviennent la proie des habitans de l’eau, & leur fournissent une abondante nourriture. En effet, quels essaims prodigieux de petits animaux ne voit on pas dans les eaux ? quelquefois ils sont en si grand nombre, qu’ils en troublent même la couleur. Si nous accompagnons des yeux les alimens depuis qu’ils entrent dans la bouche jusqu’à ce qu’ils sortent du corps, nous rencontrerons par-tout une structure & une disposition d’organes où brille un art exquis & une adresse inconcevable : tout est conforme au lieu où l’animal habite, & à la nourriture qu’il y trouve. Alia dentibus prædantur, alia unguibus, alia rostri aduncitate carpunt, alia latitudine ruunt, alia acumine excavant, alia sugunt, alia lambunt, sorbent, mundant, vorant : non est minor varietas in pedum inisterio ut rapiant, retrahant, teneant, premant, pendeant, tellurem scabere non cessent.

Prenons pour seul exemple la diversité des dents ; si les divers animaux aiment une nourriture différente, comme nous l’avons remarqué ci-dessus, l’on voit aussi constamment que les dents sont toujours proportionnées à cette nourriture : celles des bêtes rapaces sont propres à saisir, à empoigner & à déchirer leur proie : dans ceux qui mangent de l’herbe, elles ont une figure convenable à rassembler & à briser les végétaux ; ceux qui n’ont point de dents, comme les oiseaux, y suppléent par de petites pierres qu’ils avalent & qui affilent leur bec, par leur jabot & leur gésier dans l’ouvrage de la digestion. L’exemple le plus considérable sur ce sujet, est celui de quelque genre d’insectes, comme des papillons, &c. tant qu’ils ne sont que dans leur état de nymphes ou de chenilles, & qu’ils ne font que ramper, ils ont des dents dévorantes, & se nourrissent de quelques tendres plantes ; mais dès qu’ils deviennent papillons, ils n’ont plus de dents, mais une espece de proboscis ou trompe pour sucer le miel des fleurs, &c. Ainsi les parties qui servent à leur nourriture changent avec la nourriture même qu’ils vont chercher ailleurs aussitôt que leurs aîles leur permettent de voler. Il y a aussi bien des choses remarquables dans les dents des poissons : dans quelques uns elles sont aiguës & emboîtées de telle sorte, qu’elles sont panchées en arriere : par-là les dents saisissent & tiennent plus fermement leur proie, & facilitent le passage vers l’estomac ; en d’autres elles sont larges & plates, étant faites ainsi pour rompre les écailles des serpens ou des poissons à écailles dont ils se nourrissent. Quelques-uns ont des sortes de dents placées dans la bouche, d’autres au gosier ; les écrevisses de mer & autres les ont dans l’estomac même : on trouve trois de ces dents molaires au fond de leur estomac, accompagnées de muscles qui servent à les mouvoir. Voyez Dent.

Ce dernier article est un des plus curieux & des plus importans ; peut-être à la vérité ne trouvera-t on rien à cet égard de fort étonnant ni de remarquable dans l’homme, parce qu’il se sert de son entendement & de sa raison, & qu’il a un empire souverain sur toutes les créatures, ce qui lui suffit dans toutes les circonstances où il peut se trouver à l’égard de sa nourriture. Mais ici même le créateur a donné des marques de sa sagesse, en ne faisant rien d’inutile ; il n’a point pourvu l’homme d’un attirail d’organes pour effectuer ce qu’il pouvoit se procurer par la faculté